J'ai trop écrit... et donc j'en ai eu marre
Aujourd'hui on parle de manuscrit(s) à terminer, de productivité saine (ou pas) et de la pression qu'on se met (inutilement).
J’ai l’impression que je n’ai pas parlé d’écriture depuis une éternité ! 😱
Ou peut-être que j’exagère ?
Après tout, je vous parlais il y a un moins d’un mois du rapport délicat qu’on entretient avec son lectorat (parfois cruel) sur les réseaux sociaux. En avril, je n’ai même parlé que de ça, d’écrire : de pourquoi j’écris et de comment communiquer sur son roman sur les réseaux sociaux.
Et pourtant, il y a un sujet que j’ai évité d’aborder : mon écriture.
Où est-ce que j’en suis dans mes projets ; est-ce que j’avance comme je le souhaite ; si oui, quel est mon secret, et si non… qu’est-ce qui a bien pu se passer. Spoiler alert : c’est un mélange des deux et je suis persuadée que ce retour d’expérience parlera à d’autres écrivain.e.s (pro ou non).
Ces derniers mois, j’ai beaucoup appris sur moi-même, ce dont j’étais capable et où étaient les limites. Mes limites.
⏳Mais puisque j’ai évité le sujet pendant de longues semaines (oups), laissez-moi vous faire un recap’ qui me semble aussi bienvenu que nécessaire.
Début 2024, le quatrième tome des Enchanteresses qui vient ponctuer la saga de young adult fantastique que j’écris depuis 2020 (et qui est publiée chez Hachette Romans depuis 2021) paraît en librairie quelques jours avant mes 30 ans.
Joie, fierté, émotions et… soulagement. C’est un beau bébé de 500 pages (499 pour être précise !) qui m’a demandé des mois de travail acharné. Si j’avais très peur de poser le point final à une œuvre littéraire qui m’a accompagné sur toute la deuxième moitié de ma vingtaine, la réalité s’avère - à mon grand étonnement - différente de ce que j’avais imaginé.
Je suis heureuse d’avoir atteint des objectifs aussi ambitieux et je n’ai qu’une hâte : tourner la page et commencer la rédaction d’un nouveau roman.
À ce moment-là, nous sommes en janvier et je commence à me sentir fébrile : je me suis forcée à ne (presque) rien poser sur le papier depuis la fin d’année 2023. Mon but ? Me faire violence pour ne pas écrire, pour laisser ma “machine interne”1 se reposer un peu, me mettre en veille avant d’huiler les rouages. Je suis persuadée que le cerveau et le corps ont besoin de ces moments de pause pour mieux attaquer la suite. Plus les jours passent et plus je sens l’envie d’écriture qui me prend à nouveau. Elle m’obsède, elle m’inspire, elle m’insuffle énormément d’énergie.
Seulement voilà : j’ai un problème de taille auquel je n’ai toujours pas trouvé de solution…
J’ai envie de me lancer dans la rédaction de plusieurs histoires qui sont très différentes.
Or, ma situation professionnelle n’a toujours pas changé. J’écris à côté de mon travail “de jour”, celui de bureau, ce qui signifie que mes journées ne font que 24 heures.
Il faut donc que je fasse un choix… sauf que je n’arrive pas à me décider. 😑
J’ai l’impression que choisir c’est sacrifier. Je pourrais écrire chaque projet les uns à la suite des autres, mais ça ne résout pas mon problème : par quel manuscrit commencer ?
Pour les Enchanteresses, j’ai respecté un rythme de publication soutenu parce que j’étais sous contrat avec ma maison d’édition. Un excellent moyen pour se mettre un coup de pied aux fesses que de devoir tenir ses engagements ! Mais là… pas de contrat d’édition. J’ai fait le choix (mûrement réfléchi) de ne rien signer avant d’avoir terminé chaque manuscrit que je souhaite écrire. Je veux retrouver une certaine sérénité, une forme de liberté qui m’a manqué ces dernières années dans mon écriture.
Cette flexibilité retrouvée me donne le tournis.
✍️Quand il s’agit de ma carrière d’autrice, j’espère pouvoir écrire des tas de choses le temps qu’elle durera.
J’ai un milliard d’idées (au moins !) et plus je gagne en confiance (et en expérience), plus je sens qu’elles se forment dans mon esprit. Les petites graines germent et ne demandent qu’à s’épanouir. D’ailleurs, certaines de ces idées s’enracinent dans ma boîte crânienne au point que j’y songe sans arrêt. Dans ces moments, je sais que je veux écrire ces romans-là en priorité. Je ne peux pas l’expliquer ; il y a des idées qui fermentent des années avant qu’on ne les exécute pour de bon et d’autres qui n’ont besoin que d’une étincelle pour qu’on se lance (Les Enchanteresses fait partie de cette deuxième catégorie). Quand le moment est venu, je le sens.
Je porte une grande valeur au prochain manuscrit qui m’attend. Je viens de conclure une saga en 4 tomes qui a marqué le début de ma carrière d’autrice. Symboliquement, passer à autre chose est un acte fort qui cristallise tous les changements qui sont survenus durant ces dernières années.
Parce que, oui, j’ai changé.
Moi qui pensais ne vouloir écrire que du young-adult fantastique2, j’ai envie d’autres choses… je pense aussi aux thrillers. Si vous me suivez sur les réseaux sociaux, vous savez à quel point j’aime ce genre depuis très longtemps3 : que ce soit en séries, en films ou en romans, j’aime le suspense haletant qu’ils me promettent. Et ces dernières années j’ai lu tellement de thrillers psychologiques écrits par des femmes qui étaient brillants que j’ai envie de m’y essayer. Serai-je au niveau ? Aucune idée. Mais on ne sait pas tant qu’on n’essaie pas.
Je me retrouve donc avec deux idées que je souhaite absolument mettre à exécution le plus tôt possible :
un roman de young-adult fantastique (pour un public cible légèrement plus âgé que celui des Enchanteresses puisque je l’imagine pouvoir se lire à partir de 15/16 ans) qui parle notamment de dragons, d’une île secrète et de la fin de l’adolescence (quel programme !) 🏔️
un thriller pour adultes qui parle (entre autre) de tennis (oui, oui, vous avez bien lu) 🎾
Autant dire que les deux projets n’ont rien à voir entre eux. Certes, ils abordent tous les deux des sujets très durs et leur rédaction nécessite pas mal de recherches ainsi que beaucoup de motivation car ils sont franchement ambitieux (pour des raisons différentes)… mais leurs points communs s’arrêtent là.
💡Et puis, un jour… une idée un peu “dingue” me traverse l’esprit
Au début, elle est si saugrenue que je la chasse rapidement de mes pensées. Je me dis que je n’y arriverais pas, que j’ai les yeux plus gros que le ventre, que je fonce droit dans le mur et que c’est trop ridicule.
Mais cette idée revient. Et elle ne finit par ne plus me quitter.
Et si j’écrivais ces deux manuscrits en même temps ?
Tout simplement.
Je finis par en parler à mon copain un soir alors que nous dînons au restaurant en tête.
Cette discussion est nécessaire, non pas pour avoir son autorisation (et puis quoi encore ?), mais pour prendre le pouls de mon idée. Geoffroy m’a connu au plus “haut” de moi-même et aussi au plus bas. J’en ai déjà parlé, mais lorsque le tome 1 des Enchanteresses est enfin sorti, je sortais d’une grave dépression. Je n’étais pas remise de cette maladie, mais l’épisode aigu était derrière moi (une première victoire). Des tas de facteurs ont provoqué cette maladie (mon trouble anxieux généralisé, mon travail de bureau très prenant à l’époque, un décès familial brutal qui a beaucoup remué le passé) et mon écriture en a pâti, elle a fait partie des dommages collatéraux. Bref, tout ça m’a poussé au fond du précipice.
Geoffroy m’a vu épuisé, déboussolé, incapable de me lever, de me nourrir ou de parler plus de cinq minutes. Et je sais qu’il craint que je ne m’écoute pas, que je ne prenne pas soin de moi, que je tire trop sur la corde. Parce que je suis exigeante envers moi-même, peu importe le domaine tant que c’est un sujet qui me tient à cœur. Mais cet investissement ne devrait pas me coûter ma santé (autant mentale que physique).
Tout ça je le sais et c’est pourquoi je tâche de le rassurer. Geoffroy finit par me dire “si tu t’en sens capable, alors fais-le, essaie.” Parce que c’est ça que je veux avant tout : essayer. Pleins de raisons me portent à croire que cette méthode d’écriture pourrait me convenir et j’ai besoin d’en avoir le cœur net. Ce n’est pas une lubie passagère, un délire sadique de meuf en mal de sensations fortes qui veut se prouver quelque chose.
Si vous devez retenir une chose de cette lettre (et sa fin vous le confirmera), c’est qu’il n’y aucune recette magique pour trouver le temps d’écrire et terminer ce p*tain de manuscrit qui dort dans vos tiroirs depuis trop longtemps.
Donc, si vous vous attendiez à ce que je vous démontre par A+B que vous avez absolument besoin de jongler entre deux projets d’écriture pour avancer sur vos projets, vous avez frappé à la mauvaise porte.
Inutile donc de commencer à culpabiliser, de vous sentir nulle ou que sais-je ! J’ai déjà longuement écrit sur le fait que nous avons toutes et tous des capacités de travail qui diffèrent (pour des tas de bonnes raisons). L’important n’est donc pas de se comparer à sa voisine, encore moins de la copier bêtement, mais plutôt de se poser deux minutes et de se demander qu’est-ce qu’on a dans le ventre (ou pas).
Et moi, qu’est-ce que j’ai dans le ventre, alors ?
C’est sans doute une force comme une faiblesse : j’adore faire un milliard de choses différentes. Toujours dans cette même lettre, j’écrivais que je n’aime pas les cases et les étiquettes et je suis rassurée de pouvoir me définir par tout un tas de casquettes différentes. Ma vie pro comme perso est rythmée par cet état d’esprit.
Parfois, cette propre incapacité à me “fixer” me frustre. Je crois que les réseaux sociaux participent à ce sentiment qui me prend à la gorge par moments. Les algorithmes ont du mal à saisir toutes les nuances et subtilités de nos vécus et de nos personnalités. On nous encourage à ne parler que de ce qui “performe” même si cela signifie appliquer une recette encore et encore sans prendre en compte que nous évoluons et changeons, bref, que nous sommes une palette aux mille couleurs. Et pourtant, je sais que ce qui défile sur mon écran n’est jamais complètement “réel” ou authentique. Qu’il y a du story-telling, un choix éditorial et esthétique. Mais voilà, j’ai l’impression que ma vie serait plus simple si j’étais à l’image d’un feed Instagram cohérent, parfaitement calibré et où rien ne dépasse4.
Comme je suis aux antipodes de cette posture, il m’arrive de culpabiliser.
Peut-être que si je dédiais toute ma vie qu’à une seule passion/activité/centre d’intérêt alors j’y excellerais au point que rien d’autre ne compterait ?
Et puis le bon sens finit par me rattraper : si je n’étais pas une toupie inarrêtable, si je ne me nourrissais pas de mille et une saveurs et odeurs, ma créativité serait à l’image d’une fleur fanée. Flétrie, triste, morte.
Parce que tout ça m’anime.
Si je suis une irréductible introvertie qui a besoin de beaucoup de solitude pour recharger ses batteries, je ne m’ennuie jamais pour autant. Bien sûr, il m’arrive d’avoir besoin de temps plus calmes (je vous le confie au début de la lettre !), mais ils ne durent jamais très longtemps. L’oisiveté ne me déprime pas, mais j’en ai besoin seulement à petite dose, suffisamment pour retrouver énergie, créativité et motivation. C’est ma manière de reculer pour mieux sauter afin de de me remettre en selle.
Alors je fais pleins de choses qui sont toutes très différentes. Je créé, je réfléchis, je m’investis, je m’améliore (ou pas), je change d’avis et je recommence.
Je crois que j’aime ça, travailler. Attention : pas dans une optique capitaliste pour s’enrichir de façon absurde, non ! Et encore moins pour souscrire à une espèce de logique productiviste bête et individualiste au point de devenir dangereuse. Disons que j’aime le travail dans le sens de réaliser un effort, une action, une mission, d’obtenir des résultats et de sentir que j’ai une utilité. Ou du moins que je laisse une trace. Bien entendu, c’est une vision très privilégiée du travail, mais puisque j’ai la grande chance de pouvoir vivre le travail de cette manière, pourquoi m’en priver5 ? C’est un idéal de société qui serait chouette à atteindre, non ? Se plaire dans son travail, s’épanouir dans le fait de travailler et que ce ne soit plus (pour encore trop de monde), un espace pétri de violences et d’oppressions…
Alors forcément, puisque j’aime bien travailler et que les obstacles ne me font pas peur (au contraire, j’adore les petits challenges du genre essayer dix plans différents avant de jeter définitivement l’éponge 🤓), j’aime empiler les projets et les occupations. Cela demande de faire pas mal de sacrifices et de parfois faire preuve d’égoïsme... j’admets faire passer mes propres besoins et envies avant beaucoup de choses car tout ça me prend du temps.
Parfois, je crains qu’à force d’être partout, je finisse par être… nulle part. J’ai aussi conscience qu’on ne peut pas être en permanence à 100% dans tout ce qu’on fait et dans ces cas-là une petite voix malveillante me chuchote à l’oreille que je suis peut-être en train de foirer tous ce que j’entreprends6. Donc je me mets à culpabiliser, je me persuade que tout le monde m’en veut d’avoir un tel tempérament, que je risque de ne pas être fiable ni suffisamment investie malgré tous mes efforts. L’orage d’inquiétude finit souvent par se dissiper, mais c’est dur de se faire confiance. De se rendre compte que ce qu’on fait est assez.
Un jour que j’étais en point individuel avec ma manager, j’ai ressenti le besoin de lui partager mes doutes. Qu’est-ce que ces choix de vie pouvaient donner sur le long terme ? Ma priorité reste mon travail de bureau (qui, je le rappelle, me permet de payer mon loyer et de remplir mon frigo 😇), mais étais-je à la hauteur pour tout mener de front ? Ma cheffe m’a donné sa réponse à laquelle je pense souvent (parce qu’elle m’a fait beaucoup de bien et puis parce qu’elle a tapé dans le mille, ce que ma n+1 fait très souvent car, écoutez, elle est formidable et clairement on sent que je ne suis pas la première personne qu’elle manage dans sa vie, hein !!)
“Sophie, je suis persuadée que si tu n’écrivais pas, tu ne serais pas aussi productive au bureau. Et à l’inverse, si tu n’avais pas ton travail de bureau, je suis sûre que tu ne serais pas aussi prolifique dans ton écriture. Les deux cohabitent ensemble parce que c’est comme ça que tu fonctionnes.”
C’est tout con, mais ce jour-là elle a ouvert une porte dont je ne soupçonnais même pas l’existence.
Parce que plus j’en fais… plus je fais, tout simplement.
J’ai longuement réfléchi à ce qu’elle m’avait dit durant cet échange. Je me sentais enfin comprise et par conséquent, apaisée. Ma manager avait entièrement raison. Peut-être qu’un jour mon train de vie aura changé et que j’agencerais mes activités différemment, mais une chose est sûre : j’ai besoin d’être occupée pour avancer dans mes projets, pour créer sérieusement. Les vacances sont les périodes où j’ai le plus de temps libre, mais où mon écriture est la moins fertile… cherchez l’erreur !
En fait, j’ai besoin d’être stimulée.
Je suis toujours à la recherche de nouveautés.
J’ai besoin de mes petites habitudes pour apaiser mon anxiété, mais je fuis le train-train comme la peste. Mes routines ont un seul but : que je sois suffisamment organisée pour réaliser tout ce que j’ai prévu durant ma journée/ma semaine/mon mois. Mais je déteste les journées qui se ressemblent trop. Quand j’essaie d’expliquer cette nuance, voici les exemples que je donne :
j’adore sortir au restaurant… mais je n’aime pas sortir dans le même restaurant chaque semaine (même si je l’ai adoré !)
j’aime aller au cinéma le dimanche… mais j’ai besoin de changer de ciné (sinon ça me déprime)
j’essaie de faire du sport 3 à 4 fois par semaine… mais je refuse de faire le même workout encore et encore (quel enfer !)
Et pour l’écriture, ça donne quoi…?
Vous me voyez venir : j’adore écrire, mais me pencher encore et toujours sur le même texte finit par m’ennuyer et me démotiver.
Et je ne m’en étais jamais rendue compte avant cette discussion.
Lorsque je rongeais mon frein sur la fin d’écriture des Enchanteresses, je pensais que seule la fatigue expliquait ma réaction. Je pensais aussi que j’avais besoin de tourner la page, ce qui était logique après quatre ans à raconter la vie de mes personnages. Il y avait de ça, oui… mais pas seulement.
Ouvrir chaque jour le même fichier pour revenir à la même histoire et essayer de corriger les mêmes problèmes narratifs que ceux rencontrés la veille finissaient par couper mon inspiration.
Quand j’ai écrit le tome 2 des Enchanteresses (très peu de temps après le tome 1), j’essayais d’écrire tous les jours. Je pensais que je devais me plier à l’exercice quotidiennement pour avancer efficacement. Spoiler : je me suis (beaucoup) forcée pour un premier jet qui était loin de mes espérances.
Pour le tome 3, j’ai eu plus de temps dans la rédaction et j’avais appris de mes erreurs passées. Ecrire tous les jours me fatigue. J’ai donc entrecoupé une bonne partie de mes sessions d’écriture (sauf celles du rush final haha) de pauses, d’évasions de toutes sortes etc. Ca m’a fait un bien fou et, même si je n’ai pas écrit tous les jours, j’ai écrit le tome 3 en à peu près autant de temps que le 2 (alors qu’il était plus long)… sans compter que la V1 était mille fois plus satisfaisante. Ce premier constat aurait dû me mettre la puce à l’oreille.
Enfin, pour le tome 4, j’ai continué sur cette voie, même si j’ai dû être beaucoup plus assidue dans mon écriture sur les derniers mois car il fut plus long et laborieux à rédiger. Le fait de devoir respecter une deadline (puisque sous contrat) ne m’a pas permis d’aller papillonner sur d’autres projets d’écriture même si je commençais à y penser. Je n’avais pas le temps, tout simplement.
Après ces 4 années à écrire non-stop, j’ai remarqué à quel point mes baisses de régime, les période de creux (qui ont pu me retarder !) n’étaient pas liées au fait d’écrire, mais d’écrire la même chose pendant plusieurs mois. De ne pas pouvoir “switcher” comme bon me semblait.
Maintenant que j’écris (pour le moment) seulement pour moi, la question s’est donc reposée plus sérieusement : et si j’écrivais deux projets en même temps ?
Voilà comment j’en suis arrivée à me faire confiance et à décider d’alterner entre mes manuscrits. Au début de l’année, j’y avais fait très brièvement allusion dans une lettre : je vous expliquais vouloir tester une nouvelle méthode et que si elle portait ses fruits (ou pas), je vous en parlerais plus en détails.
Je n’avais pas voulu aborder le sujet plus longuement car je savais qu’il y aurait pleins de questions et ça me semblait dommage d’en parler entre deux portes alors que cela méritait une lettre à part entière (there we are !).
En janvier, j’ai réalisé un programme ambitieux : connaissant mon rythme de rédaction et ayant une estimation (très globale) du nombre de mots pour chacun de ces romans, je me pensais capable d’écrire mes deux projets en cinq mois.
Pour cela, j’ai mis en place une organisation hyper carrée :
Janvier me servirait à réaliser les plans détaillés de chaque manuscrit
Ensuite, je me focaliserais sur un manuscrit pendant environ deux semaines, puis je passerais à l’autre (et rebelote)
Fin mai, tout devait être terminé
Cela peut paraître terrifiant dit comme ça, mais je tiens à vous rassurer : je n’ai pas mis ma vie sur pause depuis janvier 🤣. Et je n’ai pas arrêté de dormir non plus (même si je fais souvent des insomnies, j’aime trop dormir pour me priver volontairement de sommeil haha) ! Au contraire, mes lettres “bric à brac” où je vous partage mes sorties et toutes mes découvertes culturelles en sont la preuve. S’il y a une bonne pratique que j’ai gardé depuis la rédaction du tome 3 des Enchanteresses, c’est de m’aérer l’esprit le plus possible.
J’en profite également pour glisser qu’au bureau, je suis ce qu’on appelle “une bleue”. Si vous ne connaissez pas le fameux test de psychologie DISC, je vous invite à regarder les résultats en ligne pour comprendre de quoi il est question : grosso modo, on me range dans la catégorie “conforme/consciencieuse”. Je n’ai pas de couleur secondaire (la majorité des gens sont à cheval sur deux couleurs), je suis juste une full bleue qui a besoin de précision, d’analyser, d’être rigoureuse, de créer des process… et cela se ressent aussi dans mon besoin de respecter les deadlines qu’on m’impose ou que je m’impose. Me fixer des délais à tenir (que je juge réalistes) me stress rarement, au contraire.
Et donc, comment s’est passée cette rédaction ? 👀
Au début, ça a marché. Du feu de Dieu, même ! 🔥
Au mois de janvier, j’ai réalisé les plans détaillés de mes manuscrits sans encombre. J’ai même été surprise de la rapidité avec laquelle j’étais parvenue à les élaborer (j’ai terminé avec un peu d’avance). D’habitude, il me faut un mois pour réaliser le plan détaillé d’un seul manuscrit. 👍
En février, j’ai commencé la rédaction pour de vrai. Le mois s’est bien passé, mais je n’étais pas totalement convaincue. Si la première semaine d’écriture pour chaque projet s’était bien passée, j’étais clairement plus flemmarde durant la deuxième. Il a fallu me rendre à l’évidence : je commençais déjà à me lasser sur chaque projet au bout d’une semaine. Je finissais par traîner des pieds et bâcler…
En mars, j’ai donc procédé différemment. J’ai décidé d’alterner chaque semaine. Je ne l’ai pas fait chaque jour car ça aurait été trop difficile de m’y retrouver, une semaine était donc plus raisonnable. J’ai vu rapidement les effets de cette nouvelle méthode. Là où j’avais avancé de manière satisfaisante en février (plus que la moyenne sans que ce soit incroyable pour autant), mon nombre de mots s’est carrément envolé durant mars.
Sur cette même période, j’ai réalisé que mes manuscrits seraient plus longs que prévu. J’ai donc repoussé ma deadline qui était à fin mai/début juin à fin juin/début juillet.
Vers mi-avril, soit moins de trois mois après le début de la rédaction de mes deux manuscrits (dont 6 semaines à alterner chaque semaine), j’avais écrit 35 000 pour chacun de mes manuscrits, soit 70 000 mots. Et je ne parle pas d’une version archi brouillonne qui doit être retravaillée de fond en comble. Non, non, 70 000 mots satisfaisants et prometteurs.
Pour vous donner un ordre d’idée, le tome 1 des Enchanteresses fait 78 000 mots et j’avais écrit le premier jet très brouillon en 2 mois durant le confinement où je n’avais que ça à faire. Par la suite, il m’a fallu des mois pour venir à bout de la réécriture de la première moitié (soit 40 000 mots) et idem pour la seconde moitié. Au total, il s'est écoulé environ 8 mois.
Et là, j’avais sous mes yeux quasiment l’équivalent de ce tome 1 qui avait été écrit en deux mois.
Et c’était propre.🤯
Je n’arrivais pas à y croire.
J’avais trouvé LA recette. MA recette.
J’étais si fière, si motivée, si déterminée…
… Et puis j’ai tout arrêté.
Oui.
Comme ça.
D’un coup.
La première explication est la frustration que je ressentais de ne pas avancer aussi vite sur chaque manuscrit respectif. Avoir écrit 35 000 mots d’un manuscrit x2, ce n’est pas la même chose que d’avoir écrit 70 000 mots d’un seul manuscrit .
Quand j’additionnais les deux ensemble, j’étais fière de moi. Quand je pensais à chacun de manière isolée, j’étais un peu découragée.
Alors que j’étais l’inverse d’une tortue, je ne voyais que ça : le bout du tunnel qui ne se rapprochait jamaaais.
Mon moral en a pris un coup.
J’étais plus fébrile, irascible, taciturne. Je n’arrivais pas à me satisfaire de mes efforts. En fait, dès qu’une semaine commençait, je pensais déjà au dimanche et à tout ce que je voulais abattre niveau écriture. Je ne pensais qu’à ça : comment en faire plus pour aller encore plus vite ?
J’étais tellement dure envers moi-même que je n’arrivais même pas à être fière de ma prouesse (parce que c’en est une, oh !). Mes manuscrits ne comptaient plus. Il n’y avait plus que le nombre de mots à écrire. Toujours plus. Plus vite. Plus longtemps.
Bof. Bof.
Ah quoi bon se faire du mal comme ça alors que l’écriture relève avant tout d’une passion, d’un plaisir ?
Fin avril, j’ai commencé à me sentir très fatiguée. Ma mauvaise humeur devenait récurrente, elle ne se dissipait plus. J’ai réalisé que je n’avais pas pris de vraies vacances depuis Noël. Au bureau, le premier trimestre de l’année et une bonne partie du second sont des périodes très chargées où j’étais sur tous les fronts avec beaucoup de changements d’organisation qui m’ont parfois stressé/alourdi ma charge de travail/perturbé.
Pendant quatre mois, j’ai été en apnée et je commençais à en percevoir les effets secondaires.
En fait, j’ai réalisé que j’avais peut-être écrit plus vite et mieux, mais que cela ne m’empêcherait pas de ne pas être fatiguée. Ce n’est pas parce qu’une méthode marche qu’elle n’est pas énergivore. Si une athlète s’entraîne deux fois plus dur pour atteindre ses objectifs, cela signifie aussi qu’il faut revoir ses phases de récupération et de pause. Le corps encaisse deux fois plus, ce n’est pas rien.
Pour un travail intellectuel, c’est la même chose (les risques de fracture en moins).
Et je n’y avais pas pensé. Parce que j’étais prise dans l’euphorie de la nouveauté, que je surfais sur la vague et que je n’avais pas envie d’abandonner en si bon chemin.
Alors, bien sûr, j’aurais pu décider de revoir mon planning dès début mai en incluant de vrais moments de pause… mais finalement j’ai décidé de m’écouter et d’arrêter cette méthode. Même si je pense qu’elle est bonne et qu’elle me convient toujours.
Mais je pense qu’elle n’est pas adaptée à ma vie actuelle où j’ai aussi un travail de bureau. Si je ne faisais qu’écrire, pourquoi pas ! Mais ce n’est pas le cas.
Cette méthode n’est pas non plus adaptée à la perception de ma propre écriture : j’ai besoin de voir que j’avance sur mon manuscrit, que les mots s’alignent et que le compteur augmente. Ouais, ça me booste. En écrivant seulement le soir et le week-end sur deux projets, c’est trop peu pour que j’avance plus vite.
Enfin, j’ai beaucoup appris sur moi-même ces dernières années et… j’ai appris à accepter mes propres limites. Si je souhaite faire de l’écriture une activité professionnelle pérenne, je ne peux pas prendre le risque de me cramer et d’exploser en plein vol. Je suis sujette à la dépression et aux épisodes sévères. Je ne veux pas jouer avec le feu. Je ne peux pas contrôler tout ce qui se passe dans mon cerveau, mais je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il ne produise pas trop de stress, de colère et de tristesse. On ne devrait jamais négliger ce genre de choses.
Je suis fière d’avoir progressé sur ce terrain là. Il y a encore trois ans, j’aurais ignoré les signaux d’alerte et j’aurais foncé tête baissée.
Et maintenant ?
J'ai fait une pause nécessaire… et puis j’ai repris l’écriture mi-mai à mon retour de Rome, toute reposée et motivée. Ce n’était pas simple de se lancer, de reprendre, et les premières phrases m’ont donné du fil à retordre… mais ça va mieux. ☺️
J’ai décidé de me focaliser sur mon manuscrit de young-adult fantastique. Il est plus long donc j’aimerais que ce gros morceau soit bientôt derrière moi. C’est aussi celui pour lequel j’avais terminé la plupart de mes recherches en le débutant donc je suis plus à l’aise dans son écriture.
Tout n’est pas rose, il y a quelques scènes difficiles à écrire au point que j’ai pas mal procrastiné (et un peu trop scrollé sur mon téléphone, mais ça on en parlera une prochaine fois !)… et puis j’ai décidé de me donner un coup de pied aux fesses, de revoir mes priorités et d’arrêter de fuir les difficultés.
Depuis, j’écris.
Actuellement, j’ai écrit au total 70 000 mots, ce qui est un peu plus de la moitié du manuscrit (gloups ! j’avais dit qu’il serait long 🙈).
J’ai encore des baisses de régime, des moments de doute7 et des périodes de creux, mais je suis satisfaite de ce que je pose sur le papier. Bien sûr, je perçois déjà des incohérences, des faiblesses dans la narration, des sujets que je souhaite porter qui méritent d’être affinés/approfondis… mais ça me semble tout de même satisfaisant.
Ah, et si vous vous demandez comment je fais pour compenser ma frustration de ne me focaliser que sur un seul manuscrit…
… eh bien j’écris cette newsletter les soirs où je rechigne à ouvrir mon fichier. 😉
Ca fait très new age formulé comme ça, ne prenez pas exemple sur moi svp.
On reparlera de pourquoi j’aime écrire ce genre en particulier dans une prochaine newsletter (j’ai hâte)
D’ailleurs, je vous dévoilais mes thrillers préférés dans une de mes lettres “bric à brac”
Une bien belle définition de l’angoisse. 🤡
Bon, je dois vous confier que je suis une grande fan des lundis 🙈(même quand il m’est arrivé de bosser pour des boîtes où je n’étais pas particulièrement épanouie, j’allais très rarement au travail en traînant des pieds !) parce qu’ils sont synonymes de renouveau. VOILA VOUS SAVEZ TOUT.
Bonne ambiance la petite voix mesquine, pas merci d’exister !!
Si écrire sans avoir de contrat est une vraie liberté pour l’esprit, cela me provoque tout de même de belles insécurités de temps à autre (et si tout le monde trouve ça nul ? et si PERSONNE NE VEUT ME SIGNER ? bref. JOYEUX !)
Je me retrouve dans cette productivité qui s’alimente elle même. C’est très vrai
Merci pour ce partage de ta méthode et de tes essais. Ce que tu dis de la notion de travail qui satisfait me parle. De mon côté, j’appelle ça « œuvrer » vs « travailler ». Quand j’œuvre, j’ai l’impression de grandir et de créer quelque chose qui me dépasse (et ça peut être dans l’enseignement comme dans l’écriture), quand je travaille, c’est plus mécanique, même si parfois c’est nécessaire !
Bon courage pour la suite de ta Young adult alors !