⌛ 2 jobs, 4 romans et seulement 24h dans une journée
Comment je suis publiée alors que ce n’est pas mon métier principal et que j’écris seulement sur mon temps libre : une lettre sur le temps, sur la notion de sacrifice et le rapport à soi-même.
« Comment tu fais ? »
Voici une question qui revient souvent parmi tous les messages que vous m’envoyez.
« Comment tu fais pour avoir un métier la journée et écrire autant ? » « Comment tu fais pour avoir une vie de couple qui dure alors que tu bosses beaucoup ? » « Comment tu fais pour tout mener de front ? » « Comment tu fais pour trouver le temps ? » « Comment tu fais pour faire du sport parmi toutes tes autres activités ? » « Comment tu fais pour lire autant, malgré tes romans ? » « Comment tu fais pour regarder autant de séries ? » « Comment tu fais pour avoir des projets annexes en plus du reste ? »
Comment . tu . fais . 3 petits mots qui reviennent en boucle. 3 petits mots qui formulent tout ce qui vous intrigue concernant mon quotidien. 3 petits mots qui, je pense, peuvent aussi exprimer de la frustration. Pas par rapport à moi, plutôt par rapport à vous, au temps qui file, file, file et que vous n’arrivez pas à retenir entre vos doigts.
Est-ce qu’il y a une formule magique ? Un secret qui se transmet de génération en génération et qu’on aurait omis de vous partager ?
Non.
Je ne suis pas de la team « l’écriture est toute ma vie, je vais donc trouver un job alimentaire jusqu’à ce que j’arrive à en vivre ». Je comprends ce choix : un job alimentaire qui ne prend pas trop de temps et d’espace mental permet de se concentrer pleinement sur l’écriture. Néanmoins, je souscris difficilement à cette vision un poil « bohème » et l’époque à laquelle nous vivons me donne plutôt raison. Face à l’incertitude et les multiples crises qui s’enchaînent ainsi que l’inflation qui saigne nos comptes en banque, j’ai fait le choix de la sécurité et de la stabilité. Pouvoir vivre décemment et confortablement est un privilège et j’en suis reconnaissante. J’avoue aussi avoir du mal avec l’idée qu’un job alimentaire serait forcément un taf facile et pas trop fatiguant.
Donc, non. Mon métier de « bureau » occupe une grande place dans ma vie. Je ne suis pas aux 35 heures (et en soi, 35 heures + l’écriture, c’est déjà un beau morceau, j’en reparlerai plus loin), je suis cadre, j’ai des responsabilités et une conscience professionnelle qui me pousse à vouloir faire de mon mieux. Et, chose formidable, j’adore mon boulot ! Ce n’est pas ma première expérience professionnelle, j’ai enchaîné différentes entreprises (et secteurs) avant de trouver chaussure à mon pied. Je suis fière d’avoir trouvé ma voie durant ma vingtaine. D’ailleurs, comme pour l’écriture, j’ai parfois peur que ça s’arrête d’un coup. C’est pourquoi je m’investis beaucoup (ah, on ne se refait pas…).
Donc, non. Je ne fais pas un taf par dépit pour payer mes factures. Ce n’est ma philosophie de vie : pour aller bien, pour avoir envie d’écrire, j’ai besoin d’être épanouie. L’écriture n’est pas un refuge pour compenser ce qui ne va pas dans mon quotidien, combler ce qui me frustre ou oublier mes vieux démons. Il y a des périodes où ça a pu être le cas, mais je ne l’envisage pas ainsi au quotidien. Oui, l’écriture est importante dans ma vie et pour pouvoir m’y accorder pleinement, sans que cela ne devienne toxique, je dois avoir le sentiment que je n’ai pas « que » ça.
J’ai toujours eu du mal avec les cases et les étiquettes, à ne me cantonner qu’à “une” chose. J’aime avoir le choix. Ce trait de personnalité s’exprime aussi dans mon rapport au travail.
Certes, ma vie tourne autour de l’écriture : c’est ma passion depuis que je suis enfant, je ne l’ai jamais caché. Mais quel soulagement de ne pas me définir que par ça, de ne pas parier ma vie que sur ça ! J’admire celles et ceux qui lâchent tout, qui se jettent à corps perdu, qui se fichent (presque) de ne pas avoir un rond sur leur compte en banque car ils veulent vivre leur vie d’auteur.trice à 1000%…
Alors, bien sûr, il y a parmi ces personnes celles qui sont privilégiées (qui ont un patrimoine, un capital confortable de par leur milieu social) et que l’inconnu n’inquiète pas plus que ça. Cependant, ce n’est pas le cas de la majorité de la profession. Beaucoup prennent le chemin de la précarité, beaucoup font un pari sur l’avenir. Je n’ai pas ce courage et je n’ai pas honte de l’admettre. Et je pense important de le dire, parce que cela ne m’a pas empêché de devenir autrice. Attention, tout mener de front ne me fait pas me sentir plus douée, plus forte, plus futée… Je pense que mon choix de vie a son lot de difficultés, au même titre que celles et ceux qui galèrent à la fin du mois en décidant de ne faire « que » ça. Par contre, nos expériences seront différentes (et peut-être que notre rapport à l’écriture également ? bonne question..).
C’est un choix que j’ai fait en toute conscience car je suis une grande fille, que je me connais, que je sais où sont mes limites. Je sais depuis longtemps qu’avoir 2 métiers était ce qui me convenait le mieux concernant ma situation professionnelle, personnelle ainsi que pour ma santé mentale et psychique.
Cette newsletter s’adresse donc aux personnes qui sont dans ma situation. Celles qui ont besoin de sécurité, de confort, de pouvoir appréhender (au moins un peu) ce que l’avenir leur réserve.
Et qui, pourtant, n’ont pas sacrifié leur rêve d’enfant : celui d’écrire des romans.
Je pense important de le préciser car il m’est déjà arrivé d’écrire des posts Instagram sur l’organisation/l’optimisation du temps, où je précisais que j’avais 2 boulots… et de recevoir en retour « facile à dire quand on ne fait qu’un 35 heures ! ». Ce genre de commentaires a pu me hérisser au plus haut point. J’avais l’impression qu’on me crachait à la figure, qu’on cherchait à nier tous mes efforts, tout mon travail. Comme dit plus haut, je pourrais être au 35 heures, qu’écrire serait déjà un challenge en soi !
Sans compter que cet argument ne tient pas. Je connais des médecins, des infirmiers et infirmières, des urgentistes même, qui écrivent ! Ces personnes ont un métier bien plus important que le mien, “hors norme” presque : leur quotidien consiste à soigner des gens, voire à leur sauver la vie. Beaucoup ne comptent pas leurs heures… et ces personnes écrivent.
Avec le temps, j’ai fini par comprendre ce qui se cache derrière un tel message : le besoin de se justifier parce qu’on culpabilise. Si on n’y arrive pas, si on ne réussit pas, c’est qu’il doit y avoir une raison qui permet de se rassurer par rapport à l’autre à qui on se compare et qui lui réussit.
Effectivement, il y a une raison et elle est tout à fait légitime : vous travaillez beaucoup et vous ne pouvez pas être partout. Quand vous rentrez le soir, vous êtes fatigué.e, vous n’avez pas la force de vous plonger dans un travail intellectuel et artistique. Votre cerveau a besoin de se détendre, de se mettre en « OFF ».
Félicitations, vous êtes un être humain.
Je pourrais vous donner tous mes meilleurs conseils et toutes mes plus belles astuces qu’elles ne serviraient à rien si vous ne changez pas dès maintenant de posture.
Il y a une variable réelle (et injuste) à prendre en compte : nous n’avons pas toutes les mêmes capacités de travail. Au même titre que certaines personnes sont du matin et d’autres des oiseaux de nuit, nous n’avons pas toutes et tous les mêmes capacités de concentration, les mêmes facultés pour se focaliser plusieurs heures sur un même sujet ou encore pour jongler entre différents projets. Tout comme nous ne nous détendons pas de la même manière, que nous ne rechargeons pas nos batteries en réalisant les mêmes activités ou que nous n’avons pas besoin du même nombre d’heures de sommeil. C’est un fait. Nous sommes différents.
Alors, bien sûr, il y a des postures plus valorisées que d’autres dans notre société ultra-capitaliste et compétitive. À en écouter certains et certaines, si t’as pas fait un burn-out avant tes 30 ans, t’as raté ta vie (j’espère que la gen Z qui lit ces lignes aura la ref). Forcément, ça donne l’impression qu’il faut aller encore et toujours plus vite, viser encore et toujours plus haut, quitte à se cramer au passage. D’expérience, je déconseille cette voie. Et pourtant, puisque la fast life est plus encouragée que la slow life dans notre société, celles et ceux qui parviennent à maintenir ce cap fast&furious se retrouvent avantagé.e.s (du moins, dans certaines situations).
Bon.
Et une fois ce constat posé… qu’est-ce qu’on en fait ?
Bonne question.
Vous savez, Internet est un vaste espace pétri de contradictions. On fustige les réseaux sociaux car on ne partagerait dessus que ses succès, ce qui induirait les gens en erreur en leur faisant croire que tout peut se réaliser en un claquement de doigts, juste avec un peu de volonté. Ce côté « dream life » qui cacherait les échecs, les doutes, les moments difficiles serait alléchant et inspirant… mais malhonnête. À l’inverse, lorsqu’on montre la réalité, ce qu’implique de se jeter corps et âme dans son art (pour moi, la littérature) ou de se lancer dans un quelconque projet ambitieux, on serait dangereux.se parce qu’on glamouriserait l’image de la « girl boss » trop carriériste qui frôle le surmenage voire le burnout et qui encense un mode de vie mortifère pour notre planète (ultra-capitalisme, surproductivité, etc. etc. vous connaissez la chanson).
Je comprends et je partage ces deux points de vue. Cependant, il ne faut pas tout confondre. Raconter sa vie ne signifie pas qu’on l’érige comme un modèle à suivre. Quand j’ai pu vous partager mon quotidien parfois intense, je n’ai jamais cherché à culpabiliser qui que ce soit ou encore à me positionner comme guru.
J’ai simplement partagé des faits :
Voici à quoi ressemble ma vie de la façon la plus authentique et transparente possible, celle d’une autrice qui, comme la majorité de la profession, ne vit pas de sa plume. Et voici ce que cela implique.
Je ne fume pas, je bois peu, je fais du sport 3 fois par semaine (j’essaie), j’adore bruncher le week-end, faire le ménage me détend, l’année n’est pas encore terminée que j’approche des 70 bouquins lus. Si je m’arrêtais à ce portrait, j’aurais l’air d’une adepte du « hygge » dont le quotidien n’est fait que de calme et de douceur. Et pourtant, il y a l’autre facette de ma personnalité : beaucoup d’insomnies, ma plaquette d’anxio qui ne quitte jamais mon sac à main, une to-do list longue comme le bras, les messages auxquels je réponds au bout de 3 semaines, mes ami.e.s que je vois une fois tous les trois mois et l’impression tenace d’être à côté de la plaque en permanence.
Je suis ces deux facettes, elles sont complémentaires. Depuis que j’ai choisi de les accepter autant l’une que l’autre et de comprendre les forces de chacune, j’arrive à trouver un équilibre plus sain, à m’assumer pleinement et par conséquent, à être autrice en plus de mon métier de bureau.
Car c’est là que réside le secret de tout ce que je vous raconte… Puisqu’il n’existe aucune formule magique pour rallonger nos journées (du moins, à ma connaissance) et puisqu’on ne vit pas dans un monde où chaque être humain a le droit de bénéficier d’un salaire à vie de 3000€ peu importe comment il occupe ses journées (oui, j’ai de grandes ambitions pour l’humanité et je mets la barre haut !), il n’y a pas mille solutions. Il est temps de vous poser cette question :
« Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? » ou plutôt « quel chemin suis-je prêt.e à prendre ? »
Et si la réponse se trouve dans l’écriture, alors il vous faut faire face à cette évidence désagréable à entendre : l’écriture demande des sacrifices. Puisque vos journées font 24 heures, alors vous allez devoir sacrifier une part de votre temps, c’est mathématiques.
Vous avez tout à fait le droit de ne pas vous sentir prêt.e à faire ce choix. Vos justifications ne regardent que vous et elles sont tout à fait légitimes. Cependant, si vous intégrez cette notion, celle de sacrifice, il va falloir prendre conscience de ce que j’ai exprimé plus haut : chacun.e a ses propres limites, des aptitudes et compétences différentes. Il ne sert à rien de regarder ce qui se passe chez votre voisin.e, d’essayer de copier son rythme voire sa rapidité.
Personne ne sait que ce vous devez/pouvez sacrifier à part vous. La seule chose à laquelle vous devez penser est l’essentiel : ce qui vous anime, ce qui vous prend aux tripes et vous fait vous sentir vivant.e. Ici, l’écriture.
Sur ces derniers mots, je vous laisse cogiter et je vous dis à dans deux semaines pour parler de façon plus concrète de ce que cela implique d’intégrer l’écriture à son quotidien… et comment y parvenir, surtout.
De la même façon que je ne me vois pas non plus tout plaquer pour vivre de l'écriture de fiction, je ne me vois pas arrêter d'écrire sous prétexte que j'ai un autre travail. Mais l'équilibre dont vous parlez, qui est différent pour chacun·e, n'est pas aisé à trouver. J'imagine qu'à force d'essayer, on y parvient ! Je l'espère pour moi en tout cas.
Très bel article qui explique le principe des "slashers". Nous ne faisons pas les métiers à moitié, nous faisons simplement des choix qui nous correspondent.