Et puis, la poésie.
Aujourd'hui on parle de vers libres, des années étudiantes, de joie insatiable et de quitter l'autoroute.
Je cherche la rime, mais elle me reste sur le bout de la langue. J’efface mon mot, je le remplace. Je relis depuis le début. Mes yeux butent sur un détail. J’hésite. Je barre une virgule. Je formule une nouvelle phrase. Elle n’a rien de mathématique et pourtant, j’en compte les syllabes. Elle ne veut pas dire grand-chose, mais elle m’amuse.
Je souris.
Une ombre attire mon attention du coin de l’œil. Maëlys s’arrête à mes pieds, un ballon sous le coude.
« Pourquoi t’es toute seule ? »
Je crispe mes doigts autour du stylo. Qu’est-ce que ça peut lui faire, à Maëlys, si chui toute seule ? Elle m’aime plus, elle me l’a dit. Elle veut plus être ma copine. Je sais pas trop pourquoi. Une histoire qu’elle a déjà une autre amie qui est mieux que moi car elle prend moins tout au sérieux, pleure moins souvent aussi et écoute Priscilla au lieu de Lorie.
Et puis je parle trop, il paraît.
Bref, je fais pas le poids.
Donc Maëlys veut plus jouer avec moi et elle sait que j’ai pas grand-monde vers qui me tourner. Il ne me reste que ce petit muret où passer mes récrés, une feuille de classeur déchirée, un stylo et puis mes idées qui jaillissent entre deux sonneries.
« Parce que j’écris un truc. »
« Ah ouais, quoi ? »
« Un poème, je réponds très sérieusement. »
Elle glisse un regard vers Laura qui vient de s’arrêter elle aussi. Les deux se mettent à pouffer. Un sourire ni vraiment méchant, ni vraiment gentil, s’étale sur leurs lèvres moqueuses.
Je fais semblant de ne pas l’avoir vu.
Mon stylo bute sur le papier. Mon support est nul. Un muret en ciment n’est pas lisse, mais rugeux, constellé de bosses microscopiques qui rendent ma rédaction ardue.
Je m’arrête. Soupire.
« Tu nous le lis ? finit par demander Laura, curieuse. »
On dirait que ça l’a écorché de poser la question. Que c’est plus fort qu’elle.
Je replie la feuille, suspicieuse. Je les connais, toutes les deux. On a été copines et si j'en parle au passé c’est que j'ai de bonnes raisons de me méfier parce que lorsqu’elles ne comprennent pas un truc, elles deviennent aussi bêtes que méchantes.
Monsieur Le Remplaçant arrive vers nous, les mains dans les poches de son grand manteau marron. Je l’aime bien. Il est marrant, je trouve. Il fait des blagues drôles.
« Vous faites quoi les filles ? Pourquoi vous allez pas jouer avec les autres ? »
« Maître, maître ! Sophie elle écrit un poème. »
« C’est vrai ça, Sophie ? Mais c’est super ! »
Je baisse les yeux sur ma feuille toute froissée.
Mouais.
« Y a des phrases qui ont pas beaucoup de sens, je marmonne. Mais c’est à cause des rimes, faut bien que je trouve des mots pour finir mes vers !»
Monsieur le Remplaçant sourit du regard.
« C’est pas grave, ça. »
« Pourquoi tu lui fais pas lire le poème au Maître ? jubile Maëlys. Comme ça il te donnera une note ! »
Monsieur le Remplaçant ne dit rien et je suis pas bête je vois bien qu’il est curieux de savoir ce que j’ai écrit. Mais il ne veut pas me brusquer et je l’en remercie silencieusement. Pas comme les deux autres là…
Monsieur le Remplaçant, je le trouve très grand, comme si sa tête frôlait les nuages. Alors je lui tends mon petit papier un peu à contrecoeur… et puis je me ravise.
« Je peux le réciter, comme ça je mettrais le ton. »
Il s’adosse contre le mur et puis croise les bras. Patient.
Au début, je bredouille.
À un moment je m’interromps pour modifier un mot. Je reprends. Je bute sur un vers. Je le répète.
Je termine enfin, à bout de souffle.
Il tend la main et je lui glisse mon papier qu’il se met à lire attentivement.
Je ne comprends pas pourquoi Maëlys et Laura sont en apnée, comme moi. Pourquoi elles attendent à mes côtés comme si ce qui se passait était un moment crucial de leurs vies.
Le soleil de Mars ne m’a jamais paru aussi brûlant sur mes joues et mes doigts aussi glacés à force de ne pas bouger au fond des poches de ma doudoune.
J’ai 10 ans et, au milieu de cette cour d’école primaire où tout le monde crie et se bouscule, je suis en train d’attendre que mon instituteur me donne une note qui ne sera marquée nulle part. Mais dont je me souviendrais toute ma vie.
« C’est très bien ce que tu as écrit, Sophie. »
J’ai du mal à déglutir et parler n’est même pas envisageable. Personne ne m’a dit que c’était ça qu’on ressentait quand on est fière de soi.
Si c’est pas trop la classe, je sais pas ce que je sais.
Laura et Maëlys échangent un regard entendu et s’éclipsent avec leur ballon. La conversation ne les intéresse pas, finalement. Les poèmes ça n’a pas grand-chose d’intéressant, surtout qu’il faut les apprendre par cœur. C’est chiant.
« Et tu écris de la poésie depuis longtemps ? il me demande avec intérêt. »
« Non, je réponds. C’est compliqué les poèmes, ça prend du temps. Mais dans ma tête j’aime bien réfléchir à des mots qui riment ensemble ! Et… et y a des poètes que j’aime beaucoup, beaucoup ! Comme heu… Maurice Carême. L’enfant, c’est vraiment un beau poème, avec de très belles rimes. Il est super fort, Maurice Carême. En plus tous ses vers on les comprend bien. Pas comme les miens. »
J’écrase une feuille morte du bout de ma bottine.
« L’an dernier dans mon ancienne école j’ai écrit un poème à une de mes maîtresses, je poursuis. Je l’aimais beaucoup cette maîtresse, elle était vraiment moins méchante que l’autre, mais c’est dommage parce qu’après elle a eu un bébé et elle est partie. Enfin, elle est revenue à un moment, mais c’était trop tard. Et mon poème c’était comme une recette de gâteau au chocolat, j’avais changé des mots et à la fin ça donnait elle comme gâteau. Ça faisait quelque chose comme ‘prenez une pincée de gentillesse, une cuillère à soupe de rires, 400g de bonne humeur et vous aurez la meilleure maîtresse du monde’ ! Mais je savais pas comment lui donner parce que j’étais gênée, alors je l’ai glissé dans ma feuille de classeur et comme ça, ça lui a fait une surprise quand elle a mis les notes. »
« Et ça lui a plu ? »
« Oui. Mais elle me l’a pas dit, elle m’a fait une surprise à son tour, elle a écrit un poème et elle l’a glissé dans ma feuille quand elle a rendu les devoirs. Tous les autres dans la classe étaient jaloux quand je l’ai découvert. Après ils voulaient tous lui écrire des poèmes. »
La sonnerie retentit.
Monsieur le Remplaçant hoche la tête et me fait signe d’aller me mettre en rang avec mes caramades. Quand on remonte dans la classe, il ouvre l’un des battants du tableau en ardoise. Puis, il se faufile entre les pupitres et s’arrête à ma table avant de me tendre un morceau de craie.
« Va écrire ton poème au tableau, Sophie. Comme ça toute la classe le lira. »
Je n’avais pas prévu de vous parler de poésie, mais apparemment je ne contrôle pas les sujets que j’aborde dans ma newsletter. Si j’ai une liste de sujets que j’essaie tant bien que mal d’organiser par ordre chronologique en me mentant à moi-même (« bien sûr que je vais m’y tenir et que mon programme de publications est planifié pour les trois prochains mois ! »), force est de constater que je me laisse souvent prendre au jeu de l’improvisation. La liberté m’inspire et je ne suis pas vraiment capable de savoir en amont ce qui va bien pouvoir me donner envie de pianoter furieusement sur mon ordinateur pendant plusieurs heures.
Et en parlant de ça, jamais je n’aurais parié sur le fait que la poésie serait devenue un moteur.
Le mien, plus précisément.
Pourtant, le souvenir que je viens de vous raconter – et que j’ai laissé de côté pendant 20 ans – m’a fait réaliser à quel point j’ai écrit des poèmes par intermittences.
À la fac, j’ai même tenu pendant trois ans un Tumblr où je les consignais tous. Des petites phrases à la volée, qui ne voulaient sûrement pas dire grand-chose pour les autres, mais qui pour moi marquaient des moments particuliers que je ne voulais pas oublier.
Je me souviens de ces deux vers libres :
« Il a des yeux si bleus,
Qu’on pourrait se noyer dedans. »
En référence à l’un de mes copains de l’époque. Un mauvais présage que je n’ai même pas réalisé alors que je l’ai écrit moi-même.
Il y en a aussi eu un sur ma grand-mère que j’avais commencé sans le terminer (parce que je crois que je ne voulais pas imaginer de fin) :
« AVC.
Je savais pas que trois petites lettres pouvaient faire autant de mal autour de soi. »
Il y en a eu plusieurs sur des ruptures et quelques déconvenues amoureuses.
Il y en a eu sur l’amitié.
Sur des colères sourdes.
D’autres plus bruyantes.
Il y en a eu des rapidement supprimés.
D’autres archivés. Au cas où.
Mais le plus souvent, ils sont restés à la vue de tous, ces poèmes, entrecoupés de longs textes sur des sujets tout aussi intimes.
Dernièrement, j’ai retrouvé tout ça sur un fichier et j’ai eu le sentiment d’y voir la suite du seul journal intime que j’ai consciencieusement tenu, celui de l’année de mon BAC. L’impression d’avoir entre les mains quelque chose d’important. Un passage entre deux pans de ma vie qu’il fallait que je consigne quelque part. Mais là où mon journal intime n’a jamais quitté mes tiroirs (sauf pour se retrouver dans la boîte en carton dans laquelle il dort actuellement), je suis étonnée de réaliser à quel point ces textes intimes, crus et sans artifice, étaient disponibles en accès libre.
Je serai incapable de reparler aussi ouvertement de certains de ces sujets.
Ce n’est pas une question de pudeur, ni même d’intimité (ces lettres sont d’une certaine manière personnelle, puisque je parle de plusieurs pans de ma vie, que ce serait étrange comme choix de mots), mais plutôt une question… de confort.
Je n’ai plus la même confiance dans l’inconnu que représentait Internet à cet époque, cet espace où je me suis réfugiée durant toute mon adolescence et puis le début de ma vingtaine. Je n’aurais plus la même insouciance (ou inconscience ?) à me livrer autant à nu.
Parce que même si Internet a bien évidemment changé, il y avait aussi une énorme part de naïveté à aborder des sujets aussi graves, à mettre sur le tapis tous mes traumas sans me soucier de (ce) qui pouvait bien (me) tomber dessus en retour.
Certaines des phrases que j’ai écrites sont tellement abruptes, dépouillées du moindre effort à me cacher, que je n’arrive même plus à les relire. Je crois que j’ai pris soin de les oublier parce qu’elles retranscrivent tous les maux qui me parcouraient, ma peau à vif et tout ce que ça a engendré comme douleurs. C’est sans doute pour cela que je les avais oubliées. Parce que j’ai essayé de faire mon deuil sur tout un tas de sujets sensibles qui se sont parfois souvent transformés en névroses… Je ne veux plus y penser parce que je l’ai trop fait, justement. Je refuse de retourner dans cet Enfer.
Grandir, ou vieillir, c’est aussi ça.
Mais ces textes, avec toutes leurs failles et tous leurs défauts, dorment quelque part et si, comme mon journal intime ils n’ont aucune vocation à être révélés aux autres, ils pourraient tout à fait devenir de la matière. Au même titre que mon journal intime de Terminale m’a été utile au moment d’écrire Les Enchanteresses (*ma tétralogie pour ado et young adult* pour les petits nouveaux), je ne doute pas que mes balbutiements d’étudiante trouveront une place dans des projets futurs.
Mais au-delà de ces lourds sujets abordés, je repense avec plaisir à tous ces moments où la poésie m’a accompagné. Ils ont été si ancrés dans ma vie qu’ils ont fini par faire partie du décor au point de les effacer de ma mémoire.
C’est là et en même temps c’est pas là.
Une banalité qu’on ne remarque plus.
Il y a quelques jours, je lisais un entretien1 de l’écrivain et poète français, Jean-Yves Reuzeau, à la tête de la maison d’édition de poésie Le Castor Astral. Il évoque à un moment Cécile Coulon, poétesse au talent hors norme et qui fait clairement partie de ces autrices ayant donné un second souffle à la poésie contemporaine en France. Jean-Yves Reuzeau dit même ceci :
« Pour moi, la poésie est un acte premier. Je ne crois pas tellement que l’on puisse devenir poète après avoir écrit des romans. Il faut d’abord avoir écrit de la poésie, puis passer au roman. »
Bien sûr, cette position n’est pas une science exacte. En la lisant la première fois, je me suis même dit qu’elle ne me concernait pas. Force est de constater qu’à force d’oublier, je me suis trompée sur mon propre parcours. Les mots de Jean-Yves Reuzeau m’ont accompagné pendant plusieurs jours, le temps d’y réfléchir à froid et de réaliser que oui, avant d’écrire des histoires, avant de me lancer dans des récits qui se transforment en romans, moi aussi j’ai composé des bribes de poèmes. Cette production littéraire fut certes en dents de scie, mais elle a bel et bien existé. Et je trouve déstabilisant comme je l’ai occulté.
Mais qu’est-ce qui a pu changer, dernièrement ?
Pourquoi ce revirement ?
Tout a commencé il y a quelques mois. Un soir où j’écrivais mon manuscrit (oui, celui sur les dragons, on y revient toujours) et où j’étais fatiguée de ne pas en voir le bout (sans surprise, car ça aussi on y revient toujours), je me suis mise à procrastiner. Au lieu de choisir la voie facile (celle du scroll interminable), je me suis levée de mon bureau, j’ai ouvert l’armoire juste à côté et j’en ai sorti un carnet qui n’avait encore jamais été utilisé.
J’ai alors écrit un poème. Il est venu spontanément, comme s’il attendait juste qu’on le recrache sur une feuille de papier. L’envie me trottait depuis le début de la soirée et n’attendait que ça, que j’allège mon cerveau, que je l’abandonne quelque part.
Ce premier poème a concerné ma grand-mère. Comme quoi, j’ai visiblement voulu boucler la boucle du côté de l’écrit. Je me suis retrouvée à barrer, annoter, tester des mots les uns à côté des autres, à murmurer mes vers à voix haute, à tenter des rimes (celui-ci je le voulais en rimes parce que ma grand-mère aussi aimait Maurice Carême et d’ailleurs, peut-être qu’elle aime toujours, mais dans ce cas c’est niché en haut d’une étagère qu’elle ne peut plus atteindre malheureusement). Et puis quand la page est devenue illisible je suis passée à celle d’après et j’ai écrit « V2 » et j’ai repris depuis le début. J’en ai fait 4, comme ça, avant de lever le nez et de me rendre compte que plus d’une heure s’était écoulée. Je l’ai lu à Geoffroy en pleurant un peu, et lui aussi avait envie de pleurer, pour tout vous dire.
Tout ça pour dire que ce poème surgit de nulle part était important.
Alors j’ai refermé le carnet. Mais le lendemain je l’ai rouvert. Et j’ai fait encore quelques modifs juste pour qu’il soit bien carré, bien propre, bien tiré à quatre épingles. Je l’ai un peu épousseté et ensuite il brillait. Et j’adore le relire parce que plus je le relis plus il brille dans mes yeux. C’est un sentiment rare pour moi. D’habitude ça me fait plutôt l’inverse.
Après ça, j’ai eu d’autres idées de poèmes plus ou moins faciles d’exécution.
Et je les ai rédigés à leur tour.
Et là encore me suis retrouvée à barrer avec fureur, à murmurer ce que j’annotais come des incantations, des sortilèges sortis d’un vieux grimoire, à les soupirer entre mes lèvres et à être démangée par le feu de l’inspiration qui grimpait trop vite pour parvenir à l’éteindre.
J’ai arrêté pendant quelques semaines.
Sans raison particulière. L’envie s’est dissipée.
Et puis c’est revenu. Encore.
Alors l’envie s’est transformée en besoin, avec la curiosité de reprendre où je m’étais arrêtée. De voir ce qui n’avait pas fonctionné, pourquoi j’avais décidé un jour plus qu’un autre de reranger la poésie dans les tiroirs.
Et puis je ne sais pas pourquoi, parce que c’est un peu le fil rouge de cette lettre depuis le début de sa rédaction : je ne sais pas d’où ça vient (mais bon, c’est pareil pour l’écriture de mes romans, ce sentiment d’urgence sort un peu de nulle part si vous voulez mon avis) ; je suis revenue de deux jours OFF où j’avais passé essentiellement mon temps au cinéma… et après cette parenthèse enchantée, j’ai rouvert mon carnet et cette fois-ci j’ai gratté comme une démente.
Le flow fut une telle vague que je suis restée en apnée à tout marquer trop vite pour que ce soit lisible. Ce n’était ni propre, ni cohérent, mais les idées étaient trop rapides et je n’arrivais pas à comprendre comment c’était possible que ça défile aussi rapidement dans ma boîte crânienne. Alors pour contenir tout ça sans vriller j’ai ouvert mon ordinateur, j’ai lâché le papier et j’ai tout recopié. Forcément, c’est moins stylé de passer par une machine, mais au moins je ne me fais plus de crampes aux doigts.
J’ai fini par me calmer après quelques heures d’euphorie.
Et là, j’ai senti que je tenais quelque chose de nouveau.
Ça fait moins de dix jours que je m’attèle quasiment chaque jour à écrire des poèmes et c’est une joie que je suis incapable d’expliquer. Un enthousiasme qui prend ses racines dans une lenteur que j’attends tous les soirs après le travail. Une récompense suprême, un cadeau d’une rareté indescriptible.
Je le disais en comité restreint il y a de ça quelques jours : faire de la poésie demande du temps.
On écrit 102 mots en deux heures et puis on repasse dessus pendant quatre jours et après il faut encore laisser reposer pour être sûre que ce soit pas trop de la merde.
Quelle galère formidable !
C’est une concentration tellement intense que j’en oublie tout le reste. Là où il peut m’arriver de me sentir distraite quand j’écris mes romans au bout d’une heure voire deux (parce que la fatigue, parce que le stress, parce que les doutes), la poésie ne me laisse pas cette marge de manœuvre. C’est une rigueur comme aucune autre que je découvre.
Et ça me ravit au plus haut point.
Je ne suis pas bien sûr d’avoir un talent particulier pour la poésie et je crois que je m’en fiche un peu. Elle m’apporte beaucoup et je crois que c’est suffisant pour continuer. Ce que je fais est très spontané, énivrant d’une certaine manière, et cet enthousiasme me donne un peu plus de joie chaque jour. Il y a presque une spontanéité enfantine dans ma démarche et je suis reconnaissante d’expérimenter ça.
J’ai été très transparente sur le fait que depuis la fin de la rédaction de mon manuscrit pour jeunes adultes, j’étais dans une phase de down aussi pénible que longue (parce que je mets toujours du temps à m’en relever de ces phases). Quand j’ai mis le point final à cette première version « aboutie »2, j’ai décidé que je ne rouvrirais pas cet énorme fichier avant un bon mois. Finalement, j’ai décidé de prolonger ce hiatus et de me laisser six semaines au total sans m’approcher de mon manuscrit. Je voulais mettre un maximum de distance, je voulais l’oublier un peu, je voulais arrêter de penser qu’il était nul ou plutôt me dire que s’il était nul ce n’était pas la fin du monde.
Et ce fut ma meilleure idée depuis trèèès longtemps.
Un mois de pause aurait été trop court.
Il y a encore une semaine, j’étais toujours fébrile et le sujet de ce que j’écrivais restait sensible. Et si j’ai toujours du mal à l’aborder parce que c’est une constante chez moi, je sens tout de même qu’il y a eu un « shift » et que cette fois-ci ça ne me donne pas envie de pleurer ou de me détester. C’est un sujet comme un autre, certes un peu désagréable, mais pas non plus la fin du monde.
Je ne sais pas si c’est la poésie qui m’a guéri ou si le temps a fait son travail et que la poésie est donc devenue une étape logique pour aller mieux ou peut-être que les deux se sont nourris de l’autre, mais en tout cas, je ressens une joie profonde et sincère quand j’écris mes poèmes.
J’avais un peu perdu cette partie de l’écriture - je parle de la joie, oui - vers la fin du premier jet de mon manuscrit.
J’en reparlerais dans une autre lettre car le sujet est lié à beaaaucoup d’autres, mais j’ai réellement envie de retrouver la notion de temps dans ce que je construis, ce que je vous évoquais déjà dans ma précédente lettre. Peu importe la rapidité et l’intensité avec laquelle je travaille, peu importe la charge que je suis capable de m’imposer, il y a dans la création aussi une notion du temps à prendre en compte et que je ne veux surtout pas perdre. Je sais qu’elle n’est pas tout à fait conforme aux attentes actuelles de l’édition, qui reste une industrie culturelle en souffrance sur certains aspects. Je sais aussi que nos temporalités sont sans cesse secouées par les rythmes de ce qui nous entourent (on pourrait citer les réseaux sociaux, les médias, et 40 000 autres choses, vous commencez à connaître la chanson peut-être mieux que moi), mais la poésie m’a aidé à comprendre qu’on ne loupe jamais vraiment le coche parce qu’on fait preuve de lenteur. Tant qu’on fait et qu’on reste en action, il n’y a pas de raison que notre travail ne prenne pas forme d’une manière ou d’une autre.
Et peut-être que je ne pourrais jamais contrôler les personnes qui veulent me presser, qui pensent bien faire alors qu’en réalité c’est compliqué, qui sont dans l’attente et qui n’ont pas conscience de cette nécessité de déguster plutôt que de tout ingurgiter sans même mâcher, mais ce n’est pas mon problème.
Si je suis la première admirative des artistes comme Taylor Swift qui nous abreuvent d’œuvres nouvelles tous les 6 mois, de formidables surprises et de nouveautés renversantes pour maintenir notre attention et notre curiosité en permanence ; j’affectionne également (peut-être plus) lorsque les artistes disparaissent un temps pour mieux revenir. J’adore les écouter parler de leurs processus de création, de tous les allers-retours qu’ils ont dû faire avant de franchir la ligne d’arrivée. Ce n’est même pas une question de vouloir en apprendre plus sur leurs doutes et leurs échecs comme si le malheur des uns devenait rassurant pour les autres. Juste, j’aime que les artistes me racontent quelque chose. Et tout le monde sait que dans une bonne histoire, la temporalité est importante.
J’aime l’idée que ces artistes aient eu besoin de se retrouver avec eux-mêmes, de tirer les rideaux et de faire un peu les choses dans leur coin. Cette image solitaire n’a pas besoin d’être dramatique ou austère pour exister. La création en solo peut être des moments de joie sans commune mesure.
Et puis, rien ne me comble plus que d’écouter une autrice ou un auteur parler de ce manuscrit qu’ils ont commencé il y a dix ans et repris en pointillés parce qu’ils avaient besoin de ce temps-là. Ça ne veut pas dire que tout ce qui prend dix ans à émerger sera forcément bon et ça ne veut pas non plus dire que toute œuvre nécessite dix ans de gestation ! Mais que ces démarches artistiques sont aussi des bras d’honneur face à ce que l’économie actuelle nous impose. En tout cas, c’est une ouverture sur le monde que je trouve rafraîchissante.
À part mon amoureux, personne ne sait ce que j’écris exactement comme poèmes. Il y en a bien un ou deux que j’ai partagé l’air de rien auprès d’un regard bienveillant, mais il est impossible de tout saisir sans la big picture que je garde soigneusement secrète. Quel est le fil conducteur entre tous mes textes, ce que j’y raconte ? Mystère. Parce qu’il y a une histoire dans mon recueil de poèmes, un récit en filigrane et c’est cette linéarité qui m’anime. Et pourtant, tout cacher et ne pas en dire plus est aussi une part de ce qui me stimule.
Ces temps-ci, tout ce qui n’a pas attrait à la poésie me semble même complètement anecdotique.
Ça fait quinze jours que je n’arrive pas à lire et je pense subir le contrecoup de la fin de mon manuscrit. J’ai réussi à tenir le cap un temps et puis j’ai lâché la rampe. Une panne de lecture d’une durée surprenante (à mon échelle) à laquelle je ne m’attendais pas. Et si au début j’ai culpabilisé (j’en ai même été inquiète), elle m’indiffère désormais totalement. La lecture reviendra mais en attendant j’ai la poésie, parce que je pense à la poésie en permanence et que tout me semble plus léger, beau, tendre même quand les vers que j’écris ne le sont pas.
Je ne pense pas faire quoi que ce soit de ce recueil un jour3, mais par contre je réalise qu’en seulement quelques jours s’atteler à cet exercice a été bénéfique à mon écriture.
La poésie est une gymnastique exigeante dans laquelle je me suis investie sans arrière-pensée… et elle m’offre le plus beau des cadeaux. Elle me fait progresser à un rythme absolument démentiel.
Après quatre ans de travail, soit toute la deuxième partie de ma vingtaine à écrire sans lever le nez de mon ordinateur afin de pondre quatre romans l’un après l’autre, je m’étais jurée de faire de ma première année dans la trentaine un moment de pause…une année hors du temps, en suspens.
Raté.
Ces derniers mois, je m’en suis voulu de n’avoir pas tenu parole : entre la v1 mon manuscrit de fantastique sur les dragons que j’ai bouclé en 8 mois, et puis mon thriller pour adultes sur le tennis commencé et mis à l’arrêt aussi vite, j’ai parfois eu l’impression de pédaler non-stop sur un vélo d’appartement alors qu’une balade en forêt aurait sans doute été plus sympa4.
À présent, je réalise que sans ces mois intenses, je n’aurais pas freiné aussi brusquement et je n’aurais pas trouvé refuge dans la poésie. Et je n’aurais pas eu non plus ce sentiment d'être entière comme je le ressens là, maintenant. Cette émotion sera sûrement passagère, mais elle existe en moi pour le moment et je l’accueille avec reconnaissance. Car tout était lié, l’un ne va pas sans l’autre : je devais passer par ces étapes difficiles, par abîmer ma plume à force de douter, pour tirer de telles conclusions.
Parce que ralentir, c’est bien, mais pour quoi faire si c’est pour rester sur l’autoroute au milieu des klaxons et des queues de poisson parce qu’on bouche le passage ?
Actuellement, je ne redoute plus de me replonger dans mon manuscrit sur les dragons et j’ai pris une telle distance avec que peu m’importe ce à quoi il ressemblera en le lisant d’un œil neuf, j’ai confiance en ce qu’il deviendra… même si ce n’est rien. Tout comme je n’ai plus cette petite boule dans l’estomac quand je songe à mes futurs projets.
Le rien ne me fait plus peur et je ne le perçois plus comme un échec.
Parce que de rien, tout peut naître.
Au fond, je crois que la poésie m’a aidé à y voir encore plus clair sur quelle autrice je souhaite être. J’en avais déjà une petite idée et la naissance de ma newsletter en est une des raisons, mais je n’osais pas être totalement cette autrice-là. Je doutais, j’avais envie de m’excuser d’être exigeante (envers moi-même et envers les autres), d’idéaliser certains pans qui me tiennent à cœur ou, à l’inverse, d’être assez peu enthousiaste sur pleins de choses liées au métier voire qui me laissent complètement indifférente. Je me disais « est-ce que je suis aussi à contre-courant que ça ? » alors qu’en vrai il n’y a pas de case préformatée dans la vie d’autrice.
On bâtit sa maison en permanence, justement.
Et moi, les maisons que je préfère, ce sont celles dont la construction s’étale sur des décennies, des projets de vie qui ont traversé des générations et empilé pleins de souvenirs dont on ne veut pas se séparer. Le point de repère auquel on revient toujours par ce qu’on s’y en sécurité. Elles ont une odeur particulière, ces maisons.
Celle du temps.
(Les prénoms de Maëlys et Laura ont été modifés. Monsieur Le Remplaçant ne s'appelait pas Monsieur Le Remplaçant, sans surprise.)
Le 15 octobre, plus précisément
J’ai l’impression de tellement dire ceci concernant mes écrits que ça devient un running gag, sorry !
Je sais pas dans quel était je serais revenue, mais j’en aurais pris plein les yeux, c’est certain
J'ai écrit pendant longtemps des chansons avant de reprendre l'écriture de romans et si ce n'est pas exactement de la poésie, je me retrouve beaucoup dans tes mots 💜
Je redécouvre aussi la poésie par phases et tes mots me donnent envie d'y retourner une fois de plus. C'est vrai que la poésie combine un aspect abordable (on peut s'y consacrer juste 15 min, dans les interstices, contrairement à un roman) et cette joie ineffable du perfectionnisme, sans qu'il soit trop lourd d'y revenir maintes fois parce que ça se fait par petites touches.
Merci de m'avoir remise dans la joie de la poésie 🥰