Jâai hĂ©sitĂ© Ă Ă©crire cette lettre. Ma premiĂšre pensĂ©e a Ă©tĂ© âtout de mĂȘme, quâest-ce quâon en a Ă faire de ce qui se passe dans ma tĂȘteâ. Et puis jâai eu ce goĂ»t Ă©trange dans la bouche, amer⊠câest justement parce que jâai repoussĂ© ce quâil y avait dans ma tĂȘte un peu trop loin que me voilĂ Ă reprendre mon traitement un an aprĂšs lâavoir arrĂȘtĂ©.
Au dĂ©but, jâai vu ça comme un Ă©chec. Jâavais beau me convaincre que je ne dirais jamais ça Ă un de mes plus proches amis sâil traversait une pĂ©riode aussi difficile, ce constat ne pouvait pas sâappliquer Ă moi. Comme dâhabitude, la bienveillance mâest Ă©trangĂšre dĂšs quâil sâagit de me regarder dans un miroir.
Je crois que je nâavais pas trop envie dâĂ©crire sur ça, cette sensation de revenir Ă la case dĂ©part (puisque câest ce que jâai pensĂ© sur le coup). On passe son temps Ă se reprocher mutuellement dâĂȘtre trop lisse et de manquer dâauthenticitĂ© en ligne, mais personne nâaime faire preuve de vulnĂ©rabilitĂ© Ă la vue de tous.
Personne nâa envie dâĂȘtre celui qui dit âen fait, non, ça ne va pas, ou plutĂŽt, ça ne va plusâ.
On prĂ©fĂšre ĂȘtre lâautre : qui promet que ça ira mieux. Lâoreille attentive, la parole rassurante, le sourire rĂ©confortant.
Ensuite, jâai repensĂ© Ă cette lettre que jâavais Ă©crit dĂ©but 2024, oĂč jâannonçais avoir dit au revoir Ă ma psychiatre. Et jâai songĂ© que si je nâavais pas eu honte Ă lâĂ©poque de raconter que jâavais eu besoin de consulter une psychiatre et une psychologue, je ne devais pas non plus avoir honte de raconter que je devais retourner les voir.
AprĂšs, jâai fait le point et jâai entrevu une petite victoire dans tout ce bazar imprĂ©vu. Câest que cette fois-ci, ce nâest pas un Ă©pisode sĂ©vĂšre. Jâai pris le problĂšme avant quâil ne soit trop tard ou plutĂŽt âtrop durâ1, cette phase dont on revient tellement difficilement, avec des capacitĂ©s cognitives qui fonctionnent Ă lâenvers et oĂč tout est plus laborieux. Je ne veux plus jamais connaĂźtre de crise suicidaire comme cela mâest arrivĂ© Ă plusieurs reprises dans ma vingtaine et je crois que cette volontĂ© est marquĂ©e au fer blanc dans mon cerveau2.
Jâen ai Ă©tĂ© tellement Ă©prouvĂ©e, jâen suis ressortie tellement traumatisĂ©e que jâutilise tous les outils que mes thĂ©rapies consĂ©cutives mâont appris pour ne plus perdre complĂštement pied. Et ces derniers temps, jâai beaucoup bu la tasse mâvoyez.
Rester Ă la surface Ă©tait une Ă©preuve du quotidien. Mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas enfiler le gilet de sauvetage en attendant que le bateau arrive. Il y dâautres alternatives que la noyade. Un entredeux un peu pĂ©nible en attendant que la tempĂȘte se calme.
Lundi matin, je suis tombĂ©e sur un post Instagram dans lequel lâhumoriste JĂ©rĂ©my Ferrari (qui a dĂ©jĂ abordĂ© Ă plusieurs reprises sa santĂ© mentale dans les mĂ©dias) dĂ©clare ceci âles jours oĂč les gens arriveront Ă dire avec la mĂȘme facilitĂ© âje suis en dĂ©pressionâ, que âjâai la grippeâ, on aura gagnĂ©.â Et, alors que jâĂ©tais Ă©croulĂ©e sur mon canapĂ©, peinant Ă me lever pour ne serait-ce quâaller me laver, je me suis dit quâil avait sacrĂ©ment raison et que ça faisait dĂ©jĂ de nombreuses annĂ©es que jâĂ©tais convaincue par cette idĂ©e.
Sâil y a un peu moins de dix ans jâĂ©tais effrayĂ©e Ă lâidĂ©e de parler ouvertement de ma santĂ© mentale3, la sociĂ©tĂ© Ă©volue et ce sujet avec. Pour ĂȘtre sincĂšre, je ne sais pas si on va toujours dans le bon sens :
je me dĂ©sole de constater comme la santĂ© mentale reste trop souvent autocentrĂ©e, quâon la confond avec le dĂ©veloppement personnel4 et quâon oublie que le fameux self-care quâon affectionne tant devrait ĂȘtre rĂ©flĂ©chi dans une perspective collective et solidaire
et, alors que je ne souffre âqueâ de dĂ©pression ainsi que dâun trouble anxieux gĂ©nĂ©ralisĂ©5, jâai vĂ©cu de la psychophobie6 de la part du milieu mĂ©dical, notamment aux urgences (ce qui a conduit Ă une nĂ©gligence dans mon diagnostic de lâĂ©poque et dans un traitement dont je me souviens encore des effets secondairesđ« )
Alors que jâai 31 ans depuis un mois tout pile7, les annĂ©es mâont appris Ă placer mon curseur autrement. Je fais preuve dâun peu plus dâindulgence envers moi-mĂȘme (si si, je vous assure que câest le cas) car jâai appris (mĂȘme si ce n'est pas parfait) Ă me distancer des discours culpabilisateurs qui ne comprennent rien Ă la chimie du cerveau et qui matraquent le mot âvolontĂ©â Ă toutes les sauces sans avoir le recul scientifique et philosophique nĂ©cessaires pour savoir ce que ce terme renferme vraiment.
Quand on me demande sâil y a une qualitĂ© que jâapprĂ©cie chez moi, jâai tendance Ă dire que je suis persĂ©vĂ©rante.
Et Ă lâinverse, quand on me demande un de mes dĂ©fauts, je rĂ©ponds âobstinĂ©eâ.
Les deux facettes dâune mĂȘme piĂšce, lâavantage et son inconvĂ©nient selon le point de vue et la situation Ă laquelle je me confronte.
En vieillissant, jâai appris Ă ne plus choisir le dĂ©ni comme Ă©chappatoire. DĂ©jĂ parce que lâexpĂ©rience fait que je suis dĂ©sormais incapable de nier lâĂ©vidence, mais aussi parce que jâai trop goĂ»tĂ© au point de quasi-non retour : je sais comme il est dur dâen revenir. Jâai toujours dit que je ne souhaitais Ă personne, pas mĂȘme Ă ma pire ennemie, de traverser une dĂ©pression sĂ©vĂšre, de connaĂźtre cette Ă©preuve qui finit par passer trop lentement selon⊠heu⊠toutes les personnes qui lâont vĂ©cu ?8
De la volontĂ©, jâen ai. Beaucoup mĂȘme et câest dâailleurs pour ça que je fais tout pour vivre le mieux possible. Jâai lâintime conviction que la vie est trop courte pour laisser le dĂ©sespoir prendre toute la place. Mais la santĂ©, peu importe quâelle soit physique ou mentale, nâest pas que de notre fait. On peut la prĂ©venir, la soigner, parfois la guĂ©rir et surtout, faire au mieux avec les cartes quâon a en main.
Jâai toujours Ă©tĂ© assez pudique sur les raisons qui me font ĂȘtre sĂ©vĂšrement anxieuse et aussi souffrir de dĂ©pression. Je glisse parfois quelques vagues Ă©lĂ©ments au dĂ©tour dâune phrase, mais si je veux bien mâĂ©pancher sur ce qui est du registre de lâĂ©motionnel9, je garde le reste (le factuel, le tangible, bref, les causes premiĂšres) pour moi et seulement pour moi. JâexĂšcre celles et ceux qui sâadonnent Ă la psychologie de comptoir parce quâils pensent avoir tout compris dâune personne alors quâils nâont que des miettes. Câest pour cette raison que je marque la limite entre ce que je souhaite exprimer en ligne et ce qui relĂšve de ma vie privĂ©e, de lâintime qui ne sortira jamais dâune consultation en cabinet ou de mon cercle proche.
NĂ©anmoins, je souhaitais quand mĂȘme lâĂ©crire ici. Je sais comme la dĂ©pression est commune10 et quâon refuse parfois souvent dâĂ©couter sa propre souffrance, par ignorance, par dĂ©ni, par peur ou par honte.
Cette lettre nâĂ©tait pas prĂ©vue et au final, je ne suis pas sĂ»re quâelle raconte quelque chose dâintĂ©ressant. Sa (modeste) longueur est aussi le rĂ©sumĂ© de ce que jâessayais dâexprimer ces derniĂšres semaines sans parvenir Ă mettre vraiment le doigt dessus. Que cette fatigue qui glisse en moi, que je traĂźne comme un poids dĂšs la sortie du lit, sâest mue au fil des mois en un Ă©puisement psychique.
MalgrĂ© tous mes efforts pour prendre le temps et ralentir, ma fatigue a pris racine et sâest enroulĂ©e autour de mes os, mes muscles, ma gorge, mon coeur et mon cerveau. Elle est comme du lierre qui grimpe, grimpe, grimpe et finit par mâĂ©touffer. Elle me comprime toujours plus fort et je ne sais plus comment mâen dĂ©pĂȘtrer. Elle me tient Ă©veillĂ©e alors que je suis Ă©puisĂ©e. Et le matin, elle mâempĂȘche de me lever et de mener la vie remplie que jâaffectionne. J'ai essayĂ© d'ĂȘtre un robot, de fonctionner comme une machine sur pilote automatique : j'avais oubliĂ© qu'Ă un moment la batterie finirait Ă plat.
Le temps que jâai pris Ă Ă©crire cette lettre me frustre, tout comme les efforts quâelle a nĂ©cessitĂ©. Et pourtant, elle fut une pointe de joie dans une journĂ©e cotonneuse. Mon envie dâĂ©crire ne sâĂ©teint pas, mais je ne peux pas prĂ©sager son contenu ni le rythme des prochaines lettres. Et en rĂ©alitĂ©, je suis assez sereine face Ă ce constat. Actuellement, il y a plus important. Ma santĂ©, cette fatigue qui mâenlise. Je regarde les lettres que je reçois de tous ces gens que jâaime tant lire, qui sâempilent et que jâarrive Ă peine Ă finir si ce nâest Ă mĂ©moriser. Je me promets de les lire vraiment, de vous lire, plus tard. Et peut-ĂȘtre mĂȘme de les commenter une fois que le plus Ă©prouvant sera passĂ©.
Alors mĂȘme si on doit pouvoir parler de sa dĂ©pression comme dâune vilaine grippe, je ne vais pas non plus vous faire croire que je nâai besoin que dâune petite semaine Ă roupiller sous ma couette pour retrouver la forme. Je sais que le chemin sâannonce long. Sans doute moins que les fois prĂ©cĂ©dentes, mais tout de mĂȘme.
Le sentier est lĂ , sous mes pieds.
Entretemps, jâai pris dâautres petits chemins, plus agrĂ©ables et moins sinueux, mais qui nâont fait que mây ramener.
Il nâavait jamais complĂštement disparu.
Il nâattendait que ça, que je revienne.
Pour continuer de parcourir ce qui avait déjà été entamé.
Je ne sais pas si jâapproche de la destination, je me le souhaite.
Et je rĂ©alise quâĂ chaque nouveau pas, tout est moins escarpĂ© quâauparavant.
Mais il se pourrait quâĂ travers les nuages, jâentrevoisâŠ
un rayon. đ„ïž
Et peut-ĂȘtre que mon amie MĂ©lanie11 a raison quand elle me dit que ce nâest pas tout Ă fait un combat Ă 0-1.
Peut-ĂȘtre que ce nâest que la nouvelle manche dâun match oĂč câest moi qui ai remportĂ© les fois prĂ©cĂ©dentes.
Et quâun crochet du droit qui mâassomme ne garantit pas que je ne peux pas me relever.
Comme je lâai dit plus haut, je suis (trĂšs) obstinĂ©e.
Câest mon plus grand dĂ©faut...
Mais aussi ma plus grande qualité.
Car il nâest jamais trop tard pour soigner sa dĂ©pression (et jâinsiste lĂ -dessus !)
Entendons-nous bien que ce nâest pas quâune question de volontĂ©, on est dâaccord
AprĂšs avoir passĂ© une adolescence chaotique Ă ne pas comprendre tout ce qui me traversait et ce que mon cerveau endurait tant ces sujets Ă lâĂ©poque Ă©taient mĂ©connus et tabous
Dont je méprise les dérives néolibérales ultra-individualistes
Non pas que la psychophobie devrait ĂȘtre excusĂ©e dans une quelconque circonstance, mais on a tendance Ă dire que la dĂ©pression et le TAG sont des sujets dĂ©sormais bien connus et bien pris en charge Ă la diffĂ©rence dâautres pathologies plus lourdes qui restent encore parfois mal traitĂ©es (et câest vrai ! mais il y a encore du travail Ă faire)
âLa psychophobie est une forme de discrimination et d'oppression envers des personnes qui ont ou sont censĂ©es avoir un trouble psychique ou une autre condition mentale stigmatisĂ©e. Les victimes en sont les personnes catĂ©gorisĂ©es comme souffrant de troubles psychiques.â (dĂ©finition Wikipedia)
JâĂ©cris cette lettre alors que nous sommes le 6 mars
Jâen parle dans cette lettre
Car je pense sincĂšrement quâil existe un âcorpus communâ dans ce que la dĂ©pression nous fait traverser et ressentir (certes Ă des degrĂ©s diffĂ©rents), peu importe les raisons premiĂšres
Selon la DREES : âEn 2019, environ 6 % des EuropĂ©ens souffrent de syndrome dĂ©pressif, avec dâimportantes disparitĂ©s selon les pays et les groupes dâĂąge. En Europe de lâOuest et du Nord, la prĂ©valence de la dĂ©pression est particuliĂšrement Ă©levĂ©e - atteignant 11 % en France, taux le plus Ă©levĂ© du continent.â
Le prĂ©nom nâa PAS Ă©tĂ© changĂ© ;)
Merci pour ta sincĂ©ritĂ©. Pour la vulnĂ©rabilitĂ© que tu nous offres, et qui rĂ©sonne fort. C'est la lettre qui me touche le plus de toutes celles que j'ai lu, de toi et d'autres, depuis des mois. C'est une lettre que j'ai envie de partager Ă beaucoup beaucoup de monde. Une lettre qui fait du bien Ă toustes celleux qui ne vont pas bien, et Ă qui la sociĂ©tĂ© fait croire qu'il ne suffit que d'un effort. Merci, et immense soutien đ€
Merci pour ce partage. Je trouve ta plume trĂšs agrĂ©able đ„°đ©·
Je ne doute pas que ça va aller de mieux en mieux. Je te comprend tellement et te rejoins dans beaucoup de choses.
Tout le monde est diffĂ©rent du coup ce qui marche pour moi ne marchera peut ĂȘtre pas pour toi (et vice versa). Cependant, tu as Ă©cris cette belle lettre, tu tâes ouverte et tu lâas publiĂ©.
Câest vrai quâil est important de voir le chemin parcouru (mĂȘme si tu as passĂ© du temps dessus et que tu es frustrĂ©e) mais le rĂ©sultat est aussi important.
Je tâavoue quâĂ©tant moi mĂȘme dans une situation oĂč je dĂ©prime, je ne sais pas quoi conseiller quand on est dans cette phase. Câest « dur » (câest clairement le mot) de se lever pour faire des tĂąches que beaucoup considĂšrent comme « normales ». Alors, si tu devais dĂ©crire ton processus quand tu ressens ça, que conseillerais tu ? Des fois en le suggĂ©rant Ă dâautre personne câest comme si on avait la solution en face des yeux đ
Bon courage Ă toi ! đ©· (ma porte (enfin ma messagerie) est ouverte si tu souhaites discuter) đ