"Je te croyais plus intéressante."
Aujourd’hui on parle de ce qu’on renvoie sur les réseaux sociaux malgré nous, des rencontres décevantes et des posts qu'on supprime.
✨ Hello,
Vous lisez actuellement la dix-septième lettre de ma newsletter, vous êtes désormais 1800 à me lire ! Un grand merci, votre fidélité nourrit mon écriture et m’inspire au quotidien.
👋 Je suis Sophie Gliocas, une millenial de 30 ans, qui est née et qui vit (avec son amoureux et son chat) à Paris. Le jour, je travaille dans la communication social media et la nuit, j’écris des livres que vous retrouvez ensuite en librairies.
✉️ « Gang de Plumes » est une newsletter aux sujets pluriels : j’y parle de mon quotidien d’autrice (mon actualité, ma vision de ce métier, mon rapport à l’écriture), je partage des sujets plus intimes (notamment liés à ma santé mentale et plus généralement, à mon quotidien) et je vous livre aussi mes recommandations (pop)culture et parfois lifestyle.
Dans cette lettre je vous raconte :
📱 Vie de plume : Le jour où j’ai rencontré IRL ce mec avec qui je discutais en ligne
✍️ Derrière la plume : L’équilibre délicat d’une présence sur les réseaux sociaux
Le jour où j’ai rencontré IRL ce mec avec qui je discutais en ligne
Mes yeux clignent plusieurs fois de suite devant le message. Ai-je rêvé ? Non, le message est bel et bien là, affiché sur l’écran de mon ordinateur. Je n’ose pas y croire. Serait-ce une mauvaise blague ? Non plus. Le message est très sérieux. Il est si long, si soigneusement écrit et expliqué que ça ne peut pas être pour rire.
Côme a ressenti le besoin irrépressible de me dire qu’il n’avait pas apprécié ma compagnie après une journée passée ensemble. Ce message, je l’ai reçu il y a près de 8 ans.
Je vous arrête tout de suite : Côme n’est pas un date, pas même un crush, encore moins un ami. Côme est une rencontre d’Internet. Je ne me souviens plus de si j’ai trouvé Côme particulièrement drôle, intéressant ou sympa. Je me souviens surtout qu’il discutait en ligne avec des personnes que je connaissais de près ou de loin. C’était alors un gage d’assurance que Côme devait être un mec cool. J’ai donc commencé à discuter avec lui. À l’époque, il me semble poli, à l’écoute, plutôt intelligent. En tout cas, il ne me semble ni méchant ni désagréable. Côme est à peine plus âgé que moi. On a quelques points communs, politiques notamment.
Un jour, il me propose d’intervenir lors d’une conférence organisée par son université. Il pense que le sujet me correspond et que mon intervention aura de l’intérêt. J’accepte. Je viens de terminer mon Master ainsi que mon alternance et je découvre ce qu’est d’avoir du temps libre après une année où j’ai multiplié les projets. Je ne parviens pas à m’y habituer, je suis comme un lion en cage qui se demande de quoi l’avenir sera fait. Entre deux recherches d’emploi dans l’espoir de bosser à Rennes, je monte donc dans un train à Montparnasse en direction d’une ville du Sud-Ouest de la France que je n’ai jamais visité. Pendant un peu moins de 24 heures, je m’éloigne de Paris.
Arrivée à destination, Côme m’attend tout sourire et aussi sympathique que par messages. Si j’ai des difficultés avec les interactions où je connais (mal ou peu) mon interlocuteur, je suis tout de même plus à l’aise et bavarde lorsque je rencontre ladite personne en tête à tête. Surtout s’il n’y a pas une dynamique de groupe menaçant de favoriser mon anxiété sociale ! Côme m’a accueilli seul, nous avons donc tout le loisir de bavarder. Je lui pose beaucoup de questions sur lui, sa vie, ses journées, sa famille, ses relations amicales ou amoureuses. J’adore en apprendre plus sur les gens, ils ont tendance à me passionner et je suis d’une curiosité maladive. D’habitude, je me réfrène pour ne pas être trop intrusive et faire un faux pas. Mais justement, la situation est cette fois-ci un peu atypique. Côme est venu me chercher en voiture et je dévore des makis sur le siège avant du véhicule, juste devant l’hôtel où une chambre m’a été réservée. Il est plus de 22h, il fait nuit noire dehors, je connais à peine Côme et il faut bien que je comble ses longs silences. Pour résumer, j’essaie d’être sympa et je me donne beaucoup de mal. Quand on me rencontre, c’est rarement le mot qu’on utilise pour me décrire en premier. Mais puisque Côme a l’air cool, je peux l’être aussi.
Je retrouve Côme le lendemain pour déjeuner, quelques heures avant la fameuse conférence. On mange un burger à la terrasse d’un restau dont j’ai oublié le nom. Côme est cette fois-ci plus bavard, ce qui m’arrange. Si j’aime autant poser des questions, c’est que je préfère concentrer l’attention sur l’autre que sur moi.
Je n’aime pas parler de moi à des (presque) inconnus. Je sors toujours des banalités, je botte en touche, j’esquive. J’ai vraiment fait l’effort de changer ce trait de ma personnalité au fil des années. J’ai fini par admettre que quand on en dit peu sur soi, on garde l’ascendant sur l’autre. Une petite stratégie de domination que j’ai inconsciemment intégré et qui m’aidait à gérer mon anxiété sociale.
Maintenant que j’ai 30 ans, j’ai fait beaucoup de progrès sur ce point. Mais il faut imaginer qu’à 22 ans, j’use et abuse de cette astuce. Il y a des personnes moins dupes que d’autres.
Côme est l’interlocuteur idéal, justement. Je vais faire un raccourci plutôt grossier, même si je sais à quel point nombreuses seront les femmes qui hocheront la tête en lisant ce que je vais dire : Côme est un homme et comme beaucoup d’hommes, il adore parler de lui. Enfin, non. « Adorer » n’est pas le mot adéquat. Côme pense qu’il est normal, établi, légitime de parler de lui, de donner son avis sur tout, tout le temps, sur n’importe quel sujet. Je n’en veux pas spécialement à Côme. En plus ça m’arrange bien qu’il soit en pilote automatique. Comme dit précédemment, je redoute le moment où il faudra que je parle de moi.
À certains moments, Côme essaie de mettre deux-trois sujets sur le tapis. Dans mes souvenirs, il fait allusion à la Loi Travail, au cyber-militantisme (rigolo de se rendre compte que ce mot n’est quasiment plus utilisé, on parle simplement de militantisme), au féminisme qui est en pleine résurgence, et puis d’autres sujets que j’ai oublié. Bref, Côme parle, parle, parle et je l’écoute. Parfois il me pose des questions très longues, trop longues pour qu’elles aient du sens. Un peu comme ceux qui assistent à une séance de cinéma en présence du réalisateur et qui au moment des questions-réponses ressentent le besoin de partager leur opinion interminable en essayant de tourner ça sous forme de questions. Au final, personne n’y comprend rien, le réal ne sait pas quoi répondre et on a perdu du temps.
Après le déjeuner, nous partons en direction de l’Université. La conférence à laquelle j’interviens n’est pas particulièrement passionnante. Mon intervention dure à peine une dizaine de minutes où je fais au mieux pour répondre aux questions d’étudiants qui ont mon âge. Je suis apostrophée par un prof très âgé qui ne comprend pas mon sujet et qui confond mon métier de l’époque avec d’autres formes de travail. Je ne peux même pas en placer une pour répliquer et le contredire qu’il a déjà embrayé sur un autre sujet. Côme est assis au premier rang. Je lui lance des regards en coin en me demandant s’il compatit à mon sort. Je suis ni blessée, ni révoltée par ce prof qui m’a coupé la parole, juste agacée et j’ai hâte que l’heure se termine. Dans mes souvenirs, Côme est imperturbable, je pense qu’il ne réalise même pas la dynamique de pouvoirs que renferme cette interaction. Lui qui était pourtant si intéressé par le féminisme !
Je rentre chez moi en fin d’après-midi. Le train est vide, je somnole devant Priscilla, folle du désert, les jambes étendues sur le siège à côté du mien. Durant mon trajet, j’échange quelques blagues par messages avec Côme. Je n’ai pas spécialement d’avis sur lui ou du moins aucun négatif, je crois même être contente de l’avoir rencontré. J’ai passé un bon moment en sa compagnie. On a bien rigolé et il s’est montré très serviable. Ces 24 heures auraient pu être bien pires. Tant pis pour ce prof un peu old school qui est persuadé de tout savoir.
Côme est une rencontre d’Internet qui s’est concrétisée en vrai, comme des tas d’autres que j’ai faites avant lui. Il n’est pas le premier et il ne sera pas le dernier. A 22 ans, je suis même plutôt bien rodée. Ma première rencontre « IRL » s’est réalisée alors que j’avais 17 ans. Elle s’appelait Lina, elle vivait à Vincennes et on avait commencé à échanger sur Skyblog trois ans auparavant. Lina s’est révélée encore plus drôle, souriante et cool en vrai. Si je ne disais rien à mes parents des inconnus que je rencontrais en vrai lorsque j’étais une ado, c’est devenu une partie intégrante de mon quotidien qui s’est banalisé. J’ai rencontré certains de mes plus proches amis sur Internet, c’est même anecdotique. Si ce genre de rencontres s’est normalisé dans ma vingtaine, c’était déjà moins courant durant mes années lycée. Il y a 15 ans, il était inimaginable de nouer de belles amitiés avec des inconnus. Tout le monde était persuadé que vous finiriez par tomber nez à nez avec un pervers. Les probabilités existent, mais force est de constater que cela ne nous empêche toujours pas d’interagir avec des personnes que nous ne connaissons ni d’Eve ni d’Adam. Côme s’ajoute donc à cette longue liste.
Le long message de Côme arrive plusieurs jours après.
48 heures ? 72 heures ? Je ne sais plus. Un pavé dans la mare imprévu. Aucun signe ne me laissait présager que Côme m’écrirait de longues lignes pour m’expliquer ce qu’il ressent et ce qui, visiblement, lui pèse beaucoup. Voilà, il a été surpris par notre rencontre, par nos échanges durant ma venue. Il a besoin de me le dire, de l’exprimer. Côme est déçu. Il me trouvait plus intéressante sur les réseaux sociaux. Il aimait mes réflexions sur pleins de sujets de société, ce que je pouvais écrire sur mon blog ou raconter sur Youtube. Il n’est pas d’accord avec tout, mais il espérait qu’on discuterait de sujets sérieux, profonds. Et il s’attendait à ce que je lui apprenne des choses, lui qui aime tant suivre mon travail. Mais voilà, je n’ai pas répondu à ses espérances.
Parce que je ne suis pas aussi intéressante qu’il le croyait.
J’ai reçu ce message il y a trop longtemps pour me souvenir de toutes les émotions qui m’ont traversé. Je crois que j’ai eu très chaud et puis très froid ou inversement. Je crois que j’ai pouffé de rire et que mon sourire est resté figé en même temps que je relisais encore et encore chaque ligne. Je crois qu’au bout d’un moment j’aurais pu le réciter par cœur. Je crois que j’ai fait une capture d’écran et que je l’ai envoyé à mon meilleur ami de l’époque. Je crois aussi que je l’ai envoyé au mec sur qui je crushais pour qu’il me rassure. Je sais que je n’ai pleuré. Je me souviens que j’ai failli le faire.
Et puis j’ai répondu à Côme, les doigts tremblants de colère et le cœur battant la chamade. Grosso modo, je lui ai dit d’aller se faire voir dans un langage encore plus fleuri. Et puis j’ai aussi ajouté que j’étais un être humain et qu’il aurait pu s’en rendre compte s’il n’avait pas parlé que de lui. Ou plutôt si après avoir autant parlé de lui, il ne s’était pas permis de tirer de telles conclusions sur moi, celle dont il ne savait rien. « C’est vrai, a-t-il admit. J’ai pas mal monopolisé la conversation. » Effectivement, il ne m’avait posé aucune question, ce qui en soit ne m’avait pas dérangé, mais je ne pensais pas que cela se retournerait contre moi. Je n’ai pas lu la suite de son message. Ses justifications ne m’intéressaient pas.
Et si pendant très longtemps j’en ai oublié jusqu’à son prénom, je n’ai cependant jamais oublié ce dernier échange avec lui.
Côme m’avait fait réaliser que nous ne cherchions pas toutes et tous la même chose sur Internet, encore moins quand nous rencontrons certaines personnes en vrai. Et, personnellement, je crois que j’ai assez peu d’attentes. Je conçois ces rencontres non pas comme un achèvement sur lequel reposeraient tous mes espoirs. Je les imagine plutôt comme un prolongement banal, qui peut arriver comme il ne peut jamais avoir lieu… et je m’en porte très bien ainsi. En quelques mots : je ne recherche pas le besoin viscéral de rencontrer les gens avec qui je parle en ligne. Je ne redoute pas ce moment, mais je ne cherche pas spécialement non plus à ce qu’il arrive coûte que coûte. Je laisse les planètes s’aligner et la vie faire le reste.
Quand l’occasion arrive de rencontrer quelqu’un, je ne suis pas spécialement nerveuse. Peut-être un peu curieuse, oui. Mais je ne me demande pas comment cette personne sera vraiment « en vrai ». J’estime que ce que je vois d’elle tous les jours sur les réseaux sociaux me donne une bonne idée de ce qu’elle est. Attention, je ne dis pas que cette personne ressemble forcément à ce qu’elle partage, ce serait naïf de ma part (c’est d’ailleurs le sujet de la 2e partie de cette lettre), mais plutôt que je ne vais pas batailler pour essayer de lire entre les lignes. Et si je rencontre ladite personne IRL, alors ce sera l’occasion de la (re)découvrir, car les humains sont pleins de nuances, de subtilités, de surprises et même d’incohérences ! Et comme dit quelques paragraphes plus haut, je suis une grande curieuse qui adore observer, découvrir, comprendre les humains.
Mais Côme ne concevait pas notre rencontre de la même manière. Pour Côme nous devions reproduire à l’identique ce que nous avions montré de nous en ligne, conservé le même rapport et le même type d’interactions. Côme s’était donné du mal à façonner une certaine image de lui, à adopter une certaine posture, il appréciait ce qu’il renvoyait et il avait été déçu que je ne cherche pas à aller dans son sens. En résumé : pourquoi n’avais-je pas été capable d’être celle que j’étais sur Internet ?
Bonne question.
« Ce mec en fait des caisses et il ne comprend pas pourquoi t’es pas dans son délire. Ça devrait te rassurer plus que t’inquiéter, me dit Josh. »
Josh connait un peu Côme. Ils se sont croisés lors d’un événement après avoir échangé sur les réseaux sociaux. « Il est pas méchant, il essayait de faire copain-copain avec tous les autres vidéastes. Il veut faire sa place dans le milieu, ajoute Josh.» Je n’avais pas pensé ce périmètre. J’ai moi-même une chaîne Youtube sans prétention pour laquelle je n’ai pas beaucoup d’ambition à part m’amuser à faire des vidéos sur des sujets qui me passionnent. Mais c’est vrai que Côme n’est pas dans cette posture. Côme veut de la visibilité, voir son nombre d’abonnés grandir, se frotter aux noms les plus connus. Côme veut faire partie de l’aventure. Ses aspirations expliquent son comportement, son besoin de contrôler son image. Mais cela ne justifie pas ce qu’il m’a écrit.
Josh me tapote l’épaule d’un air compatissant. Il est 23 heures, nous traversons la Canopée des Halles encore en construction après avoir dévoré un burger sur le pouce. Notre discussion résonne dans le lieu désert.
« Ah lalala, si tu savais comme les gens sont toujours étonnés la première fois qu’ils discutent avec moi en vrai, dit Josh. Oh, je ne te pensais pas comme ça, blablabla. T’es plus accessible que ce je pensais, nianiania. Les gens sont un peu bizarres, ils ont des attentes, ils projettent leurs propres appréhensions et inquiétudes, alors que toi tu vois juste ta vie et que t’as rien demandé. »
J’acquiesce. Josh a la difficulté d’avoir fait de la vidéo son métier et d’essayer d’en vivre. Sa chaîne a dépassé les 100 000 abonnés et depuis quelques temps on le reconnait dans la rue. Il sait qu’à son échelle il ne contrôle déjà plus grand-chose de son image.
« Le problème, j’ajoute tandis que nous descendons les escalators, c’est qu’il avait vraiment l’air de tenir à l’image qu’il s’était faite de moi et je ne comprends même pas d’où elle vient ! Lui qui disait suivre attentivement tout ce que je fais, il a bien dû voir que j’étais pas tout le temps sérieuse, que j’aimais bien me marrer, non ? Ou même parler de sujets futiles, comme tout le monde ! »
Josh soupire.
« Cherche pas, meuf. Tu trouveras pas la réponse à tes questions. Et puis, bon. T’es quand même différente en vrai. »
Je plisse le nez.
« Pas du tout. »
« Ben si. Mais c’est pas méchant hein, mais t’es différente en vrai. C’est un fait. »
« Comment ça ? Et puis d’abord heu… toi aussi t’es différent en vrai. »
« Nan, nan. Toi, c’est pas pareille. T’es plus sympa en vrai. Plus accessible en gros. On se doute pas forcément que tu vas être celle avec qui on va taper la discut’ toute la soirée. »
Je me tais. Mouais.
Je vois ce que veut dire Josh, ce n’est pas la première fois qu’on me le fait remarquer. En réalité, ça n’a aucun rapport avec ce que je renvoie sur Internet. C’est constant. Au lycée ou à la fac, les gens qui ne me connaissaient que de loin pensaient la même chose. Une première impression que je ne cherchais pas forcément à démentir car cela nécessite beaucoup d’énergie.
Au contraire, je crois que je préfère que les personnes n’aient pas trop d’attentes à mon sujet ou alors qu’elles fassent fausse route. Encore un moyen un peu absurde d’avoir l’ascendant sur les autres. Tu pensais avoir raison à mon sujet ? Raté ! Et puis, il vaut mieux que ce soit dans ce sens-là, non ? Qu’on finisse par m’apprécier que par me détester. Là aussi, je crois pouvoir influer sur l’opinion des gens en laissant présager le pire. « Le pire »… j’exagère. Mais vous voyez l’idée.
La remarque de Josh me tracasse tout de même.
« Mais toi, tu pensais quoi de moi quand on discutait en ligne ? Parce qu’on a bien fini par se voir en vrai donc je devais pas être si terrible que ça ! »
« Arrête de te prendre la tête, j’t’ai dit. »
Bon. Okay. Sujet clos.
Enfin, non, pas totalement.
Parce qu’à l’époque, le message de Côme me renvoie à un souvenir amer. Une amitié qui est en train de se terminer. Enfin, je sais qu’elle est terminée, qu’il n’en reste déjà plus grand-chose, mais l’amie en question n’a pas l’air de s’en être encore rendue compte. Fin août, je suis partie en voyage à l’étranger pendant 10 jours. Sac de rando sur le dos, vieilles Dr Martens aux pieds, j’ai crapahuté dans la nature, enchaîné les auberges de jeunesse, passé mes journées à marcher au milieu de paysages à couper le souffle. Mais une ombre est venue entacher ce tableau. Je suis partie avec une copine rencontrée sur Internet. Nous nous voyions pour la deuxième fois et le voyage ne s’est pas passé comme je l’espérais. Je n’avais pas spécialement d’appréhension à l’idée de partir avec Dora. Mais, avec du recul, je réalise qu’elle en avait et qu’elle n’est jamais parvenue à s’en délester.
Dora a passé les dix jours du voyage à me sortir des phrases toutes faites, presque préfabriquées, qui ressemblaient à des punchlines tumblr sur des sujets de société. À chaque fois, Dora me fixait en attendant que j’acquiesce, avec l’air nerveux de celle qui a peur d’avoir dit une connerie. A la fin du voyage, je réalise que Dora n’a pas spécialement cherché à ce qu’on se connaisse mieux. Elle n’a jamais été spontanée ou particulièrement à l’aise en ma compagnie, Dora voulait surtout que je la valide en tant qu’individu. Je n’arrive pas à savoir avec qui je viens de passer dix jours. J’ai eu affaire à une inconnue, certes gentille, mais qui voulait avant tout qu’on coche une case en se voyant en vrai, comme si cela allait sceller quelque chose entre nous alors que nos échanges sont restés en surface. Nous n’avons rien creusé, rien construit. Je crois que Dora et moi sommes très différentes et n’avons pas la même conception de ce qu’est l’amitié. Je ne suis pas déçue, je ne la juge pas fautive. Je suis surtout triste et perdue. Tout ça pour ça. Le message de Côme fait écho à cet échec.
Après cet échange avec Josh, le « sujet Côme » est revenu de temps à autre sur le tapis. Des années plus tard, il m’est arrivé de le raconter comme une anecdote un peu drôle, une discussion absurde qui m’est tombée sur le coin du nez sans crier gare.
À l’époque, mon amie Adélaïde a un avis très tranché sur la question. On est en 2019, je suis de retour à Paris et j’en profite pour reprendre mes bonnes habitudes. Je lui donne rendez-vous au By Season. En arrivant je réalise que, depuis son ouverture il y a 4 ans, le lieu est bondé. Tout le monde veut dévorer des pancakes, même un mardi aprem’ de novembre. L’endroit est bruyant, les serveurs s’affairent entre les tables. Je ne sais plus comment j’en viens à parler de Côme à Adélaïde, mais plus j’avance dans mon récit, plus elle fronce les sourcils en même temps qu’elle dévore une pile de pancakes gigantesque qui dégouline de sirop d’érable.
« Ce mec s’est permis de te donner son avis non-sollicité et de te dicter ses exigences comme si t’étais sa liste de courses, parce que c’est un gros misogyne qui s’ignore. Il pense que les femmes sont des êtres qui n’ont qu’une facette, aucune nuance, et surtout, qu’elles doivent répondre à ses attentes. Et quand Monsieur n’est pas content, il demande le remboursement du temps que tu as passé avec lui. Un peu comme si t’étais un service client sur pattes, quoi. J’peux te piquer de la confiture ? »
Je pousse mon assiette vers elle. Je crois qu’Adélaïde a touché du doigt quelque chose, mais ça ne résout pas mon affaire.
Homme comme femme, comment contrôler ce que les gens pensent de nous en ligne ?
Lors d’une séance, ma psy m’a donné la réponse qui m’a à la fois soulagé et désemparé.
« Vous ne pouvez pas ! Comme vous ne le pouvez pas avec les gens que vous rencontrez dans la vie de tous les jours. Il y aura toujours des gens qui ne vous apprécieront pas, avec qui ça ne matchera pas, qui vous jugeront, parfois même sur la base d’informations complètement fausses ou erronées. C’est terrible, mais c’est la vie. »
Elle a raison. Bien sûr qu’elle a raison. Mais, je ne sais pas… j’espérais que les réseaux sociaux nous protégeraient des jugements hâtifs. Après tout, on choisit ce qu’on publie et diffuse de nous-mêmes. On essaie le plus souvent de renvoyer une image positive ou du moins qu’on apprécie. Qu’elle soit juste, authentique et entière ne rentre pas toujours dans l’équation. Et pourtant, malgré tous nos efforts pour apparaître sous notre meilleur jour, nous ne gagnons pas à tous les coups. Le plus frustrant, c’est que nous sommes même d’autant plus sévères avec notre présence en ligne et celle des autres ! Puisque nous agissons en toute conscience quand nous publions sur les réseaux sociaux, puisque nous ajoutons une couche d’interactions à celles habituelles (du quotidien, les obligatoires comme celles au travail par exemple), puisque nous décidons d’être en ligne alors, il faut bien accepter les remarques et critiques négatives en retour. Pas de panique, il paraît qu’elles seront constructives et pour notre bien.
Peut-être, mais à quel point ?
Et surtout, à quel prix ?
L’équilibre délicat d’une présence sur les réseaux sociaux
Peut-être parce que c’est l’un de mes métiers ; ou peut-être parce que je les utilise depuis l’adolescence ; ou peut-être encore parce que j’ai 1000 et 1 anecdotes à raconter concernant les réseaux sociaux… En tout cas, j’adore parler du rapport qu’on entretien avec ces plateformes et cette lettre en est une de plus sur le sujet.
Le jour où j’ai découvert les mots « relations parasociales », j’ai trouvé une réponse à bon nombre de mes questions. D’un côté, je comprenais mieux l’intérêt teinté de sympathie que je pouvais éprouver à l’égard de certains influenceurs, créateurs de contenus ou artistes que je suis sur les réseaux sociaux. De l’autre, j’avais enfin une explication à la familiarité dont certaines personnes faisaient preuve en m’écrivant. Les remarques déplacées, les questions indiscrètes, les mots parfois très forts et très durs en réaction à certaines de mes opinions, de mes goûts, de mes réflexions ou encore à de gestes pourtant anodins : « je suis très déçue », « je ne te croyais pas comme ça », « je ne pensais pas ça de toi ». De l’autre côté de l’écran, j’étais toujours perplexe et je n’osais pas poser la question qui pourtant me brûlait les lèvres :
« Mais que pensais-tu connaitre de moi, justement ? Tu ne sais pas qui je suis. Tu ne vois que ce que je veux bien montrer. »
Ce regard pragmatique sur nos interactions en ligne ne m’a jamais empêché de tomber moi aussi dans le piège. La déception ou l’incompréhension de réaliser que quelqu’un qu’on appréciait n’est plus sur la même longueur d’onde que nous (ou qu’elle ne l’a jamais été) ; des interactions en dents de scie et lointaines, mais auxquelles on tenait car elles duraient depuis plusieurs années et qui s’avèrent, au final, n’avoir pas la même portée ou la même signification pour l’autre… Les codes relationnels en ligne sont, derrière une prétendue fluidité, plus complexes qu’on l’imagine.
Nos relations en ligne pâtissent de notre regard consumériste et capitaliste encore plus quand on peut se délester du poids des conventions « de la vraie vie ». La barrière d’un écran, la froideur d’un bouton sur lequel appuyer nous protège et est si confortable qu’on en use et abuse. Là où on aurait peut-être fait preuve hors ligne de plus de patience, de bienveillance, d’écoute, de nuances , nous nous évitons ce genre de désagréments en ligne. Faire preuve d’humanité (ou plus simplement de politesse), semblerait nous demander beaucoup d’efforts et il semblerait qu’on préfère vivre sans. Jusqu’à quel point ? Nos interactions et réactions souvent abruptes et (très) spontanées sur ces plateformes prennent de plus en plus de place. Or, elles ne sont pas magiquement isolées du reste de notre quotidien et, j’ai tendance à penser, qu’elles finissent par déborder.
Nous avons fait d’Internet un exutoire dont la coupe est pleine.
Au-delà de l’écrit qui n’aide par à saisir toutes les nuances d’un message et provoque des quiproquos, notre agressivité, notre méchanceté, notre malveillance, suintent par tous les pores. Bien sûr, la question de l’œuf ou de la poule rend le sujet encore plus complexe. Qui est vraiment responsable ? Où cette bêtise collective a-t-elle commencé ? Les frontières sont si poreuses ! Je me demande jusqu’à quel point le capitalisme (qui a permis à ces outils de voir le jour) influence notre regard vis-à-vis des gens que nous suivons, découvrons, rencontrons et avec qui nous interagissons.
Pour revenir à Côme, il n’y a effectivement pas besoin du capitalisme pour souhaiter retirer un bénéfice d’un échange ou d’une relation (peu importe la teneur de cette relation). Quand nous prenons le temps d’interagir avec quelqu’un, il y a souvent de l’intérêt derrière. Ce n’est pas forcément malveillant ni une mauvaise chose. Par exemple, passer un bon moment, peut faire partie de ce qu’on souhaite retirer d’une rencontre. Cependant, le besoin qu’avait Côme de me fait part de sa déception concernant nos échanges, comme si je lui devais quelque chose, me pousse à croire que nous sommes de plus en plus dans une marchandisation et capitalisation de nos rapports à l’autre.
Croyez-moi : je n’ai aucun problème avec le fait d’être inintéressante. Par contre, j’en ai un quand on vient me demander des comptes alors que je mène simplement ma vie sans embêter le monde !
Alors que les années passent et que ma présence en ligne s’est professionnalisée au fil du temps, je réalise à quel point mon avis ainsi que mon regard a évolué au sujet de ma présence en ligne.
Je suis passée par tous les stades avec, d’abord, une présence très spontanée, naïve, en construction, dont j’ai aimé l’authenticité malgré ses travers et ses limites. Je regrette parfois cette période et je comprends les personnes qui rêvent d’un Internet d’antan où tout semblait plus simple, facile et moins calculé. Trop souvent, les gens sont spontanés parce qu’on leur demande de l’être, ce qui montre l’absurdité de la chose. Sans oublier que nous sommes (collectivement) plus malveillants et durs envers ceux qui osent être trop vrais (alors que nous ne sommes pas unanimement d’accord sur ce que signifie ce « trop ») car habitués à des contenus de plus en plus léchés et travaillés. J’en parlais brièvement dans cette lettre.
Moi aussi, j’ai eu du mal à trouver l’équilibre (c’était d’ailleurs le sujet de la toute première lettre de cette newsletter) et je tâtonne encore. J’ai essayé de jouer sur plusieurs tableaux, de me dédoubler, puis de tout réunir… sauf que rien n’était satisfaisant à mes yeux. Peut-être parce qu’il n’y avait rien de satisfaisant à trouver car il n’y a aucune réponse préétablie, aucune vérité concernant la quête de notre identité qui se cacherait entre deux stories Insta. Parce que ce n’est pas sur les réseaux sociaux et cela ne sera jamais à cet endroit que nous trouverons qui nous sommes réellement. Nous pouvons en entrevoir quelques bribes, mais comme dirait Fox Mulder « la vérité est ailleurs ».
Il me fallait peut-être atteindre mes 30 ans pour le comprendre ou plutôt mesurer l’importance de cette information.
Par conséquent, je suis de moins en moins encline à trop partager sur les réseaux sociaux (on en revient encore sur la subjectivité qui englobe ce « trop »). Alors que dans ma vingtaine j’avais besoin d’échanger et de partager en permanence pour me construire, me retrouver, que je cherchais en encore plus d’instantanéité et de rapidité parce que je pensais que la réponse arriverait plus vite, ce rythme a fini par m’essouffler.
Et surtout, je n’aime plus ma propre mise en scène (qui m’a longtemps amusé) sur ces plateformes. Je l’ai longtemps considéré comme une manière de se raconter : peut-être faut-il y voir un lien avec mon amour pour les histoires et plus largement l’écriture… ? Mais je préfère l’écriture pure et simple, justement. Etrangement, cette lettre raconte un souvenir très personnel (pas qu’un, d’ailleurs), j’y raconte l’intime (encore et toujours), j’y partage un infime morceau de ma vie. Mais cela ne me gêne plus, je différencie cette démarche de ce que je racontais sur les réseaux sociaux qui étaient alors plus éphémères et condensés. J’apprécie de partager des expériences personnelles sous la forme de lettres pour plusieurs raisons. D’abord, car cette lettre est un travail d’écriture certes gratuit, mais tout de même un travail que je conçois comme partie intégrante de mon métier d’autrice. Ensuite, parce que j’ai dû procéder à des choix et à des partis pris pour écrire cette lettre. On rejoint ce que je disais auparavant sur les relations para sociales : si cette lettre qui tombe dans votre boîte mail vous donne une impression de proximité, il ne faut pas oublier qu’elle ne reflète que ma vision (par conséquent subjective) d’un événement passé. Sans compter qu’elle a aussi connu quelques procédés narratifs pour être plus digeste et intéressante. À vous d’en tirer les (bonnes 😉) conclusions avec le recul que cela nécessite.
Sur cette envie de se raconter et de se mettre en scène, le personal branding (« marketing de soi ») en est une forme très représentative de notre société capitaliste. Et dernièrement j’ai tiré la conclusion qu’en termes de personal branding, j’ai achevé un gros chapitre commencé (sans savoir) il y a près de dix ans. Cette remarque ne tiendra qu’à moi, elle est vraiment très personnelle (et j’insiste sur ce point), mais je n’ai plus envie d’être « la fille qui partage des conseils d’écriture sur Instagram », ou « la fille qui fait des Tik Tok et des reels ». Tout comme j’ai eu pendant longtemps un blog ainsi qu’une chaîne Youtube qui étaient partie intégrante de ma personnalité, j’ai envie de passer à autre chose. C’est complètement absurde car je consomme encore tous ces contenus en permanence, qu’il y a des tas de créateurs et créatrices que j’adore, mais justement : je n’ai plus envie de faire partie de cette catégorie. Ça ne me parle plus, ça ne me nourrit plus. Un jour que je bataillais à exprimer cette pensée, la talentueuse Pauline Harmange m’a partagé ce passionnant article de Vox qui résume bien l’absurdité à laquelle sont confronté.e.s les artistes qui espèrent vivre de leur art et qui ont besoin des réseaux sociaux pour émerger. J’aime trop les réseaux sociaux pour les diaboliser, mais force est de constater que j’y mets moins d’émotionnel qu’il y a 5 ans.
Le déclic est venu alors que je m’interrogeais sur les autrices (romancières ou essayistes) que j’admirais. Je me suis sérieusement demandée ce que j’appréciais chez elles pour qu’elles m’inspirent autant. Certains de ces critères n’ont rien à voir avec l’écriture. Il s’agit plutôt de ce qu’elles montrent d’elles et de comment elles procèdent.
Dans la première catégorie, il y avait les autrices qui utilisent leurs réseaux sociaux seulement pour communiquer sur leur actualité (un livre à paraître, une interview, une séance de dédicaces) ou sur des projets durables comme un podcast ou une newsletter. J’aimais que leur temps dédié à la création ne le soit pas en priorité à de la création social media. Ce n’est qu’une impression, mais leur vie me semble souvent plus riche (et je ne parle pas matériellement).
Dans la seconde catégorie, il a toutes celles qui n’utilisent pas les réseaux sociaux. Les secrètes, les discrètes, les mystérieuses. J’admire cette distance qui, je pense, les protège de bien des maux. On ne peut pas nier qu’il peut y avoir un privilège, celui de ne pas avoir besoin des réseaux sociaux pour se vendre car le succès est déjà là. Mais je suppose que ces femmes sont aussi traversées par des doutes sur si elles ont fait le bon choix.
Pour cette raison, j’ai fait beaucoup de tri dans mes contenus en ligne (promis, j’archive, je ne supprime pas haha !), peu importe les plateformes. Si ce contenu a eu son utilité pendant une certaine période, il est temps de passer à autre chose. D’ailleurs, même si l’écriture de façon pratico-pratique n’est pas le sujet central de cette newsletter, je considère qu’elle permet d’en apprendre bien plus sur le métier et sur le rapport a entretenir avec ses écrits que tous les contenus Insta ou Tiktok que j’ai pu réaliser. Sans dévaloriser mes anciens contenus, ce genre d’informations pullulent sur Internet et se trouvent facilement si on cherche un peu. Ajoutons à cela que pour écrire, il faut avant tout beaucoup lire… ce que vous faites en lisant cette lettre, haha ! Et toc. Bon, plus sérieusement, j’essaie en permanence d’appliquer mes propres conseils en écriture donc vous pouvez les retrouver entre ces lignes. Or, vous seriez étonnés de ce que le cerveau comprend/comprend/intègre sans qu’on lui dicte de règle précise. Double toc.
Aussi, j’essaie de plus en plus de ne pas être la femme que je pense devoir être pour satisfaire les autres ou pour avoir l’impression de ne pas louper le coche. À présent, j’essaie de me rapprocher des femmes que j’admire, de m’en inspirer. Je les frôle à peine du bout des doigts, mais je tiens bon. Un exercice bien plus compliqué, honnêtement intimidant, mais tellement plus épanouissant.
Sur ces sages paroles, je vous laisse me partager votre avis en commentaire, concernant votre présence en ligne, celle des autres, la nôtre.
(Les prénoms de Côme, de Josh, de Lina, de Dora et d’Adélaïde ont été modifiés.)
Je trouve qu'une des choses compliquées avec les relations parasociales c'est l'asymétrie : j'ai l'impression de te connaître car tu me partages des morceaux de ta vie depuis 10 ans, mais l'inverse est faux. Au mieux mon pseudo t'évoque vaguement quelque chose car on a interagit quelques fois mais tu ne connais rien de moi. Ça donne une fausse impression de proximité qui favorise l'envie de s'adresser aux personnes qu'on suit comme on parlerait à une amie, en blaguant, en employant le second degré (mais pour le comprendre il faudrait se connaître), en étant direct, alors que de l'autre côté c'est juste un.e inconnu.e donc hyper malpoli.
Merci pour ce partage qui est très intéressant. Moi qui suis une autrice qui débute, je me rend compte que j'ai beaucoup misé sur les réseaux sociaux, alors qu'au final je vend plus par le bouche à oreille. (Mais c'est extrêmement dur d'oser montrer ma facette d'autrice aux personnes que je fréquente quotidiennement). Comme le dit alexe martel dans sa dernière newsletter (que je vous conseille), on arrive à une aire post réseau sociaux, et petit à petit sans s'en rendre vraiment compte on prend nos distances. Si j'aime toujours Instagram via les rencontres et personne découverte, je ne peux plus fermer les yeux sur le modèle de société et le moule que veux nous imposer ses entreprises privées.