Le jour où j’ai grimpé la colline
Aujourd’hui on parle de monts et merveilles, de campagne pas si endormie que ça, des fantômes en pierres et du trajet qui compte plus que la destination finale.
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Je dis souvent que la nostalgie me glisse dessus. Le passé me rend rarement mélancolique. Je ne regarde en arrière que pour mieux avancer.
Sauf… lorsqu’il s’agit d’un sujet.
Cette lettre est l’histoire d’un vieux fantôme qui continue de me traverser malgré le deuil et les années. Il prend la forme d’une maison de campagne que ma famille a possédé durant plusieurs décennies et générations. Bâtie par mon arrière-grand-père, je l’ai parcourue une dernière fois il y a un peu plus de quinze ans… et pourtant, si je devais remettre les pieds là-bas, je suis persuadée d’être encore capable de la parcourir les yeux fermés. Je connais cet endroit du bout des doigts. Tous les sons, les odeurs et les matériaux qui la composent pulsent dans mes veines, sont imprégnés dans chacune de mes cellules.
C’est une maison de pierres oscillant entre le beige et le gris clair avec un toit de tuiles rouges, séparée en deux par une petite cour carrée jonchée de cailloux. Est-elle jolie ? En toute objectivité, difficile à dire. Dans mon esprit, elle conservera pour l’éternité l’équilibre parfait entre le pittoresque et le simple, l’utilitaire et l’impraticable, le lointain et un maintenant dont on parle peu (ou plutôt mal) dans l’actualité. Son charme n’est saisissable que si on éprouve pour elle un attachement profond, irrationnel, démesuré. Un amour d’enfant.
Il faut imaginer cette maison nichée dans un village de tout au plus trois cents habitants, sans rien autour. Enfin, tout dépend de comment on choisit de l’admirer. Pour certains, il y a tout ce qui est essentiel : dix rues étroites où les maisons se chevauchent les unes sur les autres si bien que tout le monde se connait, les champs à perte de vue, les faons qui galopent d’un pré à l’autre avant d’aller se cacher dans la forêt la plus proche, l’odeur de la rosée aux aurores, le pétrichor qui monte aux narines après chaque averse.
Mon père y a passé un nombre incalculable de ses vacances avec ses petits frères et je ne prends aucun risque en affirmant qu’ils y ont fait leurs bêtises les plus dangereuses et stupides. Il y a construit des souvenirs de môme casse-cou qui ne le quitteront jamais. Ils se sont enracinés en lui, si bien que l’âge ne pourra jamais en venir à bout. Forcément, il était impossible que ma grande-sœur et moi-même1 ne goûtions pas à cette expérience.
Je suis une enfant née au milieu des années 90 alors, sans surprise, le village s’était métamorphosé depuis les années 60/70 qui ont vu mon père grandir2. Mais j’étais trop jeune pour réaliser les conséquences d’une école primaire (l’une des rares du coin) qui avait fermé, des quelques commerces qui n’ont jamais relevé le rideau après une saison compliquée ou encore de l’Eglise qui tournait déjà au ralenti bien avant ma naissance3. Ces rares endroits de rencontres et de sociabilité qui ont fini par s’éteindre.
Qui sera surpris de m’entendre préciser que le cimetière est étonnamment vaste pour la petitesse du coin ? La moyenne d’âge a toujours tiré vers le ciel. En bas de notre rue, il y avait la maison de Tata R… pas la nôtre, c’était la sœur de mon arrière-grand-père. Je n’ai que peu de souvenirs d’elle, je sais juste que je l’ai toujours connue vieille. En face de notre maison, vivait un monsieur très âgé, un peu bossu et édenté qui m’intimidait par sa posture voûtée et son regard en biais. Il regardait la télévision sur son poste noir et blanc matin et soir, sa seule distraction de la journée étant de nous saluer quand il nous entendait ouvrir le portail. On nous murmurait de lui dire bonjour en retour, peu importe à quel point il nous impressionnait. Comprenez, il avait fait 39-45. Une guerre mondiale, c’est pas rien. Et effectivement, ça abîme.
Désormais, je réalise à quel point mon regard d’enfant ne saisissait pas comme ce village tenait (et tient encore) grâce à un équilibre fragile, instable, soumis aux aléas économiques.
Mes souvenirs sont donc innocents, naïfs.
D’une certaine manière, ils sont précieux.
Cette maison de campagne s’est construite au fil des gens qui y ont séjourné. Elle a toujours été un voyage dans le passé : quand nous y venions pour un week-end ou pour les vacances, nous finissions toujours par y laisser des objets que nous n’avions pas prévu de ramener. Parfois, nous venions même avec des affaires que nous souhaitions y entreposer pour que ça ne prenne plus de place « chez nous ». Et c’est étrange comme cette habitude de s’y délester de tout ne l’a jamais transformé en débarras.
Au contraire, il s’est passé tout l’inverse.
Elle est devenue le foyer de toute une famille.
La colonne vertébrale.
La boussole.
Le repère.
On pouvait y trouver : de très vieux livres qui avaient appartenu à la mère de mon arrière-grand-mère4 sur ce que devait être une bonne femme au foyer ; les collections toutes roses et cartonnées du Club des Cinq et du Clan des Sept (les éditions des années 50 s’il vous plaît) ; des revues poussiéreuses qui s’entassaient dans un coin sans que personne ne daigne les jeter ; des jeux de société datant des années 70 et 80 où la Russie s’appelait encore l’URSS (et auxquels ils manquaient la moitié des pions) ; des vinyles démodés que personne ne se vantait d’avoir acheté ; des nappes de pique-nique oranges flower power en concurrence avec celles très sages et plus conventionnelles à carreaux rouge et blanc (deux visions d’une époque… !) ; des bols et tasses en verre fumé Duralex ; un aspirateur de près de 40 ans qui a explosé un jour où on a tenté de faire vraiment le ménage avec ; des fauteuils tapissés achetés en brocante et brûlés par endroits à cause du bois de la cheminée qui a trop souvent fait des siennes ; un téléphone à cadran dont la sonnerie faisait vraiment un assourdissant « DRING ! DRING »… Et tellement d’autres objets qui ont disparu de ma mémoire, mais qui furent à ce moment-là des trésors, des machins, des bidules, bref : des éléments rassurants d’un décor où rien ne disparaissait jamais vraiment.
Tout venait s’y ajouter encore et encore.
Dans cette maison, il n’y a jamais eu la télé. On s’informait en allant chercher le journal le jour du marché après avoir acheté le poulet rôti et les sachets de chips pour le déjeuner du dimanche. Si on ne voulait rien louper de la Coupe du Monde 98, il fallait rester fermement cramponné au poste radio et tendre l’oreille. Le territoire rural était si clairsemé que pour l’éclipse de 99, nous avions dû faire toutes les pharmacies des environs pour mettre la main sur la dernière paire de lunettes disponibles car toutes avaient été dévalisées. Et pour la tempête de la même année, on parlait bien plus des dégâts qu’avaient subi les éleveurs quant à leurs troupeaux que de ceux matériels.
Je me souviens qu’après cette catastrophe, le coq n’a plus chanté dès l’aube pendant de longues semaines.
Tout notre temps-libre opérait autour des mêmes rituels : les ateliers de peinture, de couture et de calligraphie sous la surveillance de ma grand-mère, les châteaux de sable dans la petite cour5, la chasse aux escargots par temps de pluie, les courses sur les échasses en bois, le modeste potager où nous parvenions à faire pousser quelques fraises et framboises tous les trente-six du mois ; les poules d’à côté à qui nous donnions nos épluchures et fanes ; les dessins à la craie sur le bitume lorsqu’avec ma sœur nous imaginions chacune la maison de nos rêves avant de faire mine de nous rendre visite ; nos chorégraphies sur Britney Spears et les Spice Girls6 car, -progrès incroyable !- nous avions nos propres CD et une chaîne stéréo pour les écouter en boucle ; sans oublier les soirées au coin du feu où nous jouions aux sept familles encore et encore.
Mes souvenirs les plus précis sont ceux qui datent de l’été. Peut-être parce que le temps y était plus long et si étiré que je ne réalisais pas à quel point je grandissais en seulement quelques semaines. Je me souviens des champs de tournesol où nous nous arrêtions pour prendre des photos, de la voisine que j’observais en douce depuis le jardin en train de faire des ombres chinoises sur la toile d’une tente, du bourdonnement des frelons volant dans la grange, des oiseaux qui se prenaient malencontreusement la porte en verre7, des pièges à souris répugnants, de l’âne dans son pré que j’adorais aller saluer parce qu’il me rappelait Cadichon8, des feux d’artifice du 14 juillet où je finissais irrémédiablement par m’endormir sur les épaules de mon père, de l’odeur de l’engrais provenant des champs à proximité, de celle du barbecue au premier rayon de soleil.
Et puis, parmi les souvenirs les plus nombreux, il y a ces après-midis que nous passions au lac où nous sautions depuis le ponton pour nous baigner dans l’eau aussi fraîche que vaseuse9 entre deux portions de frites-merguez achetées au snack bar du coin. C’était encore l’époque où, lorsqu’on apprenait qu’un môme s’était noyé parce qu’il essayé de nager en-dessous du ponton, aucune mesure de précaution n’était prise pour éviter que le danger ne se reproduise.
Oui, c’était aussi ce temps-là : l’époque où tout le monde croyait que le malheur n’arrivait qu’aux autres, alors on ne surveillait pas les baignades, le mot « prévention » était rarement prononcé encore moins à côté du mot « risque ».
L’époque où les grands-parents n’avaient aucun scrupule à tenter d’apprendre à conduire à leurs petits enfants de même pas 10 ans sur un parking vide10. L’époque où on ne mettait pas toujours la ceinture sur la banquette à l’arrière car « ça fait maaaaal au ventreeeeuh ». L’époque où la crème solaire était appliquée une fois sur deux. L’époque où les mamans parlaient de leur régime devant des gamines de même pas 8 piges puis qu’on s’amusait d’un œil attendri quand ces mêmes mômes décidaient de « jouer à faire la diet’ ».
Cette époque était sans aucun doute un sacré bordel pas très reluisant, inconscient, jouant trop avec les limites, où l’individualisme avait une place si importante qu’on en essuie encore les conséquences. Le mot « répercussion » n’existait que dans le dictionnaire.
Mais tout ça, môme, on n’y pense pas. On ne pense qu’aux prochaines vacances à la campagne et tout ce qu’on va y retrouver. Tout ce qui n’aura pas bougé. Notre cocon inébranlable.
Tous mes souvenirs sont d’une étonnante clarté, une capsule temporelle disponible en un claquement de doigts. Les racines de mon propre arbre.
Et pourtant, je n’ai pas encore parlé de mon souvenir préféré :
celui de la colline.
À l’arrière de la maison, il y avait un jardin tout en longueur que nous ne traversions que pour deux sujets de la plus haute importance : faire de la balançoire11 et sauter par-dessus le petit muret. Ce fameux petit muret permettait de rejoindre le chemin qui bordait la colline servant de pâturage aux vaches. Si nous avions été sages, alors nous avions le droit d’escalader le muret et d’aller les saluer en grimpant le sentier bordant la clôture. Cette colline m’a longtemps paru interminable. Elle était si haute que je me prenais à rêver de ce qu’il y avait de l’autre côté. Au fil des années, je me suis persuadée que le paysage qu’elle cachait derrière devait être magnifique, enchanteur, à couper le souffle. J’imaginais ses routes vallonnées, des étables partout ainsi qu’une multitude d’animaux en train de brouter.
À chaque fois que je me trouvais au pied de la colline, je n’avais qu’une idée en tête : courir, courir, courir sur mes petites jambes, ignorer mon point de côté, ma respiration erratique, mon cœur battant la chamade et… et atteindre le sommet.
Mais je n’y arrivais jamais.
On venait toujours me récupérer pour me porter avant que j’atteigne mon but. Même en grandissant, on me demandait toujours de redescendre beaucoup trop tôt. J’étais maudite, tout simplement. J’avais beau expliqué, supplié, répété que je voulais voir « ce qu’il y a derrière la colline » , à chaque fois la même réponse frustrante, désabusée de la part des adultes « Mais y a rien là-bas ! Allez, redescends, maintenant ! ». Je repartais les mains dans les poches, déçue, en me faisant la promesse de retenter l’an prochain.
« Je serai plus grande, plus rapide ! »
Ce n’est qu’une question de temps.
Juste du temps. Voilà ce qu’il me faut.
Et ici, on en a à foison.
Et puis un jour, sans crier gare…
…il n’y a pas eu d’an prochain.
Il n’y a pas eu de nouvel été.
Il n’y a plus eu de maison de campagne.
Comme les années 90 (et les décennies précédentes) ont laissé dans leur sillage beaucoup de casseroles pour les générations futures, ma famille a atteint son trop plein d’amertume et de non-dits dans les années 2000. Ce que je ne comprenais pas enfant, je le vivais à présent dans ma chair. Il y a d’abord eu des désaccords, puis des discussions houleuses et enfin des disputes. Conclusion inévitable : la maison a fini par être mise en vente. Comme a dit un grand sage : ✨ l’argent, ça fout toujours la merde.✨
Nous y sommes revenus en pointillés sans jamais nous éterniser, juste le temps que les problèmes administratifs soient résolus. De toute façon, ce ne fut plus jamais comme avant. Même quand il y faisait beau, tout y semblait gris. Elle était devenue froide, austère, morne. Les nappes fleuries et celles à carreaux avaient fini par se délaver. Les vieux jouets ont pris la moisissure à force de ne pas être utilisés. Malgré son bric à brac dans tous les recoins, elle semblait vide.
Le foyer s’était envolé d’entre les murs. Il avait compris qu’il était temps de plier bagage. Il n’y avait plus rien à sauver.
Ce n’était que le vestige d’un temps révolu qu’on ne pourrait plus jamais récupérer. Les fameuses « répercussions » qu’on ne voit pas jusqu’à les avoir sous le nez.
Au fil du temps, la maison est devenue un sujet sensible, pénible, douloureux, sur lequel je n’avais aucune prise.
Les plus grands y avaient vu et vécu tout ce qu’il y avait à voir et à vivre. Pour eux, la boucle était bouclée.
Pour moi qui rentrais dans l’adolescence, non.
Bien sûr que non.
Alors j’ai enfoui son souvenir dans un recoin de mon esprit. Mais la maison n’est jamais parvenue à rester à cette place. C’était un endroit trop étroit pour elle et tout ce qu’elle m’avait apporté.
Un jour, ma mère est venue me voir et m’a annoncé « Ça y est, tout est réglé. On peut y aller une dernière fois, mais on va pas pouvoir prendre tout ce qu’il reste… et puis l’essentiel a déjà été récupéré. On va juste vérifier qu’on n’oublie rien d’important. Tu veux venir avec moi pour me filer un coup de main ? Ce sera pas très long. » Je n’en croyais pas mes oreilles. Les planètes s’alignaient enfin. J’ai dit oui sans hésiter. J’allais pouvoir dire au revoir à ma maison.
J’ai attendu cet après-midi là comme on attend Noël et le jour-J, je me souviens encore du jean skinny bleu marine et du sweat XXL kaki siglé GAP que je portais. J’avais aussi pris mon appareil photo. Je me doutais que je n’allais pas pouvoir tout photographier, que je n’arriverai pas à capturer sa beauté de l’époque. Ce n’était pas très grave.
L’important était de lui dire adieu comme il se doit, même si je n’avais rien préparé et que je n’avais jamais fait ça de ma vie.
Dès que nous sommes arrivées sur place, nous avons aidé mon grand-père à récupérer les dernières peintures à l’huile, aquarelles et natures mortes de mon arrière-grand-père… et puis, c’était tout. Il n’y avait déjà plus grand-chose. J’avais visé juste : la maison avait définitivement perdu son âme. Je n’en voyais que ses portes qui fermaient mal, les toiles d’araignées dans les coins, son odeur d’humidité persistante, l’âtre noircie de la cheminée. Je n’ai fait quasiment aucune photo des lieux. À la place j’ai préféré m’aventurer dans chaque pièce, j’ai touché chaque poignée de porte, monté et redescendu les marches de l’escalier en bois une multitude de fois, foulé la moquette épaisse à l’étage, caressé les tapisseries sur les murs des chambres, me suis assise sur le minuscule canapé qui me servait de lit quand j’étais encore plus minuscule que lui, humé l’air poussiéreux et renfermé. Je me suis nourrie de ce qui m’avait manqué pendant toutes ces années. J’en ai dévoré chaque miette jusqu’à en avoir la nausée. Je me suis même glissée dans la chambre de mon arrière-grand-père qui était son jardin secret. J’ai observé le ciel blanc et nuageux à travers la lucarne du toit. J’ai écouté le calme infini autour de moi. J’ai compris pourquoi il n’aimait pas qu’on se glisse dans son antre.
Alors que ma mère finissait de remplir la voiture, je lui ai dit que je revenais « dans dix minutes, promis, promis ».
J’ai parcouru la petite cour carrée, puis traversé la grange, tourné la clé dans serrure de la porte en verre qui menait au jardin comme je l’avais fait mille fois auparavant…
…et quand j’ai su qu’on ne me voyait plus, je me suis mise à courir.
J’ai couru à en perdre haleine, j’ai couru aussi vite que mes jambes me portaient.
J’ai couru en sachant qu’il n’y aurait pas de prochaine fois.
J’ai couru comme j’en avais toujours rêvé, comme je m’étais promis de faire « lorsque je serai enfin une grande ».
J’ai couru en ignorant l’herbe mouillée qui glissait sous mes chaussures.
J’ai couru sans me retourner.
J’avais attendu ce moment toute ma vie d’ado de 15 ans qui a compris qu’il était enfin l’heure de faire son deuil.
J’ai enjambé le muret avec une facilité déconcertante et j’ai grimpé la colline sans faire de pause. Et plus je parcourais les mètres qui me séparaient du sommet, plus mon cœur battait à tout rompre, plus mon sourire s’élargissait, plus je me sentais fébrile, nerveuse.
Heureuse.
Je vais voir ce qu’il y a derrière.
Je vais le voir.
Je vais le voir de mes propres yeux.
Je suis arrivée tout en haut, à bout de souffle, le front trempé de sueur, les mains sur les cuisses. J’ai relevé la tête et j’ai vu…
… j’ai vu ce que chaque adulte m’avait répété depuis l’enfance.
J’ai vu le terrain plat s’étirant à perte de vue.
J’ai vu les champs à l’abandon.
J’ai vu le désert.
J’ai vu ce que je n’avais jamais voulu croire.
J’ai vu ce que je n’avais pas voulu voir.
J’ai vu ce qu’on ne m’avait pas laissé voir.
J’ai vu qu’il n’y avait rien.
J’ai vu la réalité.
J’ai vu l’étrange parallèle avec toutes les années qui venaient de s’écouler.
Alors ce jour-là, j’ai ri.
J’ai même éclaté de rire.
Encore maintenant, quand je pense à la colline, je pense à ce que le sommet de la colline m’a appris.
Que parfois, on a besoin d’en avoir le cœur net peu importe les avertissements. Que parfois, il nous faut boucler la boucle… même des années après. Qu’un entêtement peut se transformer en rêve voire en fantasme.
Qu’on guérit d’une désillusion, que sa fin douce-amère laisse un drôle de goût sur la langue auquel on s’habitue… et qu’on finit par l’apprécier.
Que la grisaille s’enterre et qu’on peut même y planter des graines pour en faire jaillir des fleurs de toutes les couleurs.
Qu’au fond, ce qui comptait ce n’était pas le sommet, mais tout ce qu’on a semé avant sur le chemin, au moment de gravir la colline.
Ce jour-là, je n’ai pas pleuré.
À la place, j’ai dégainé mon appareil photo, j’ai photographié non pas ce qu’il y avait derrière la colline, mais le village qui s’étalait sous mes yeux. J’ai tenté de faire des selfies en calant mon appareil contre les barrières de la clôture, mais j’ai fini par les effacer. Elles ne rendaient pas justice à tout ce que je ressentais. Au fond, je n’avais pas besoin de me voir dessus. De cet endroit, j’avais déjà capturé tout ce qu’il y avait à prendre.
Parfois, il m’arrive de vagabonder sur Google Maps dans les rues du village, de m’arrêter devant cette maison où j’ai grandi chaque été, puis de bifurquer pour poursuivre ma visite jusqu’à la colline. Depuis le chemin qui la borde, je peux contempler ce qui fut notre ancien jardin. Je peux faire défiler l’évolution des clichés au fil du temps. À ma plus grande joie, il y en a un l’année où la maison fut vendue. J’aime admirer la lumière chaude du soleil qui illumine le jardin, son herbe verdoyante parfaitement coupée. Et quand je me sens prête, je m’arrête sur les photos plus récentes, celles où le jardin n’est plus entretenu, que l’herbe s’arrête à mi-mollet et que le petit muret est désormais recouvert de ronces et de lierres. La balançoire est toujours là, cachée entre deux arbres, encore plus rouillée auparavant.
Je devine qu’aucun enfant ne vit ici, que personne ne cherche à s’aventurer au fond du terrain pour saluer les vaches et pour aller à leur rencontre.
Personne ne rêve de savoir ce qui se cache de l’autre côté de la colline.
Aucune âme un peu naïve n’est persuadée que c’est le bout du monde.
Ce jour-là, en haut de la colline, mon rire a fini par se transformer en écho.
Un souvenir m’a frappé avec la violence d’un uppercut : ma sœur et moi en train de crier à gorge déployée des bêtises parce qu’on venait de découvrir ce qu’était un écho, justement.
Alors, je n’ai pas pu me contrôler. L’idée m’a traversé comme une évidence.
Je me suis mise à crier.
J’ai hurlé de toutes mes forces, à m’en décrocher la voix.
J’ai crié « AU REVOIR ».
Et puis…
Et puis j’ai aussi crié « ADIEU ».
Je crois qu’après le départ de notre famille, personne n’est parvenu à aimer cette maison comme nous l’avons fait. Peut-être que comme les être humains qui finissent par mourir, il ne reste d’elle que ses murs et ses fondations. Une dépouille de pierres qui tombe en ruine au fur et à mesure du temps qui passe. Peut-être est-elle devenue un fantôme qui ne hante que celles et ceux pour qui elle a vraiment compté. Cette maison à qui nous avons tout donné, peut-être que nous en sommes repartis avec un trop gros morceau pour qu’elle ne parvienne à survivre. Et ce sans même nous en rendre compte.
Ce jour-là, tout bas, rien que pour moi, j’ai murmuré « tu vas me manquer »
Et…
Et…
« merci ».
Vous comprendrez mieux en lisant la suite pourquoi ma petite sœur n’a pas connu cette maison, du moins pas suffisamment pour en avoir des souvenirs aussi forts que les nôtres
Même si ça a toujours été un village de très petite taille avec tout ce que cela implique
Le prêtre faisait le tour des villages alentours à mobylette, autant vous dire que la messe de Noël était expédiée illico presto (oui, je trouve cette anecdote à mourir de rire)
Ouais, ouais, il y avait vraiment des reliques dans cette baraque. J’ai renoncé à me demander de quand dataient ces bouquins-là
Bon, un jour il a fallu se rendre à l’évidence que le bac à sable était devenu la litière préférée de tous les chats du voisinage en notre absence
On est des millenials ou on ne l’est pas
RIP petit oiseau parti trop tôt, je me souviens encore du BRUIT AFFREUX
Les piquousés à la Comtesse de Ségur auront la ref
Il faut m’imaginer me pavaner avec mon maillot de bain préféré, un au tissu violet satiné sur lequel le visage de Mulan s’étalait en grand
Souvenir totalement inventé, bien évidemment
Malgré ses barres métalliques toutes rouillées car comme on a dit, dans les années 90, le « risque » eh bien on connaît bof
Cette newsletter résonne tant ! La maison de ma grand-mère est restée dans la famille, mais a été complètement rénovée. C’est à la fois une bonne chose - les maisons ont plusieurs vies- mais en même temps, une forme de tristesse de voir ses souvenirs disparaître de manière aussi visible ainsi que la réalisation qu’ils se comptent en décennies.
Définitivement l'une des plus "belles" lettres que j'ai pu lire, quoi que cela veuille vraiment dire...