
D’aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais considérée comme jalouse.
Pendant longtemps, ce mot m’était même complètement étranger. Pour être honnête, je me méfiais des personnes jalouses comme de la peste.
Je les trouvais… dangereuses.
Un mot fort, je sais ! Mais voilà ce que m’inspirait la jalousie : un danger contagieux qu’il fallait éviter par tous les moyens. Le fameux monstre aux yeux verts prêt à vous dévorer tout cru sans réaliser qu’il ne sera jamais rassasié. Car l’envie est vorace, inépuisable. Un puits sans fond qui ne se satisfait jamais complètement de ce qu’il possède et finit toujours par retrouver ses vieux travers.
Dès que je croisais le regard envieux de quelqu’un vis-à-vis d’autrui, une bouche plissée de frustration face à une bonne nouvelle, une remarque acerbe complètement gratuite, je me tendais.
Ma nuque se crispait, mes poings se serraient, ma mâchoire se contractait.
J’y voyais une forme de malveillance mal placée, une incapacité à se réjouir pour les autres. Souvent, je finissais par prendre mes distances avec les personnes ayant un tel état d’esprit. Mon cerveau était incapable de comprendre comment on pouvait en arriver à jalouser quelqu’un.
Et puis le temps, l’expérience ainsi qu’écouter les autres m’ont permis de comprendre ce qui pouvait se cacher là-dessous.
Je ne me suis jamais considérée comme jalouse non pas par vertu morale, mais parce que deux facteurs m’en ont protégé.
Il y a d’abord eu les privilèges dès la naissance dont on n’a même pas conscience et qui pourtant nous permettent de grandir sans manquer de quoi que ce soit.
Alors, bien sûr, il y a des événements qui ont marqué mon enfance et qui expliquent pourquoi dès très (trop ?) jeune, j’ai été confrontée à l’anxiété et à la dépression. Mais j’ai tout de même grandi dans un environnement stable, rassurant où j’ai été gâtée, aimée, considérée. Très tôt, j’ai réalisé la chance que j’avais. Non pas que j’avais conscience d’avoir plus de chance que les autres (ça je l’ai réalisé bieeeen plus taaard), mais j’éprouvais une forme de gratitude qui m’empêchait de regarder dans l’assiette dans mon voisin.
On croit souvent que l’herbe est plus verte ailleurs mais moi, j’aimais le gazon du jardin de mes parents. J’aimais le fouler pieds nus même après la pluie, j’aimais son odeur de pétrichor si familière et rassurante.
Je me moquais de ce à quoi il pouvait bien ressembler chez d’autres.
Seulement cette indifférence m’empêchait de réaliser que chez certains l’herbe a jauni à force de ne pas être arrosée. Ou même qu’il n’y a jamais eu de jardin et qu’ils doivent se contenter d’une petite parcelle de terre que tout le monde foule en se moquant bien d’à qui elle appartient.
En grandissant je l’ai compris et j’ai pris peu à peu conscience que certains sont jaloux parce qu’ils ont peu… voire rien du tout. Que ce qui me semblait si insignifiant, de l’ordre du normal (du « conventionnel », du « commun », pourrait-on dire), relève de l’extraordinaire pour d’autres. Et si nous ne sommes pas directement responsables de ces injustices, elles expliquent pourquoi certains nourrissent une frustration voire une hostilité, qui finit par leur empêcher de se réjouir pour les autres. Parce que pour eux tout est plus long, difficile, sinueux. Tout le temps. Que chaque nouvelle avancée est une bataille qu’ils ne sont jamais sûrs de gagner.
Alors cette fatigue teintée d’amertume se mue en épuisement. Cette incompréhension dont on ne comprend pas toujours les causes finit par nous mettre en colère. Et la colère qui grandit, qui boue, peut finir par exploser au point de déboucher sur de la violence et puis sur de la haine. La haine, sans doute le sentiment le plus mortifière et dévastateur. Et au départ de cette escalade, il y a une petite voix mesquine qui derrière l’envie, le désir… cache une profonde jalousie.
Mais je n’ai pas grandi dans un tel environnement alors, tout ça, je ne pouvais pas le comprendre. À l’époque, la seule jalousie que j’identifiais était, comme j’aime la nommer, de la jalousie « mal placée » car dans mon entourage j’ai trop souvent été témoin de comportements jaloux. Cette incapacité à se satisfaire pour les autres, à se réjouir de leurs réussites, ce besoin de toujours chercher la petite bête pour anéantir la moindre étincelle de joie finissait par me nouer l’estomac.
Si bien qu’inconsciemment je me suis fait la promesse de ne pas être jalouse. De toujours tirer les autres vers le haut, de toujours les féliciter, de ne jamais les faire douter. Je ne sais pas si j’ai toujours réussi, mais en tout cas j’ai voulu me construire en opposition.
En faisant quelques recherches, j’ai trouvé deux mots qui définiraient le contraire de la jalousie :
- L’indifférence, ce qui m’a étonné puisque je serai franchement blessée si mon entourage se contrefichait de mes propres réussites alors qu’elles m’ont demandé beaucoup d’efforts et de travail (pas vous ?)
- La compersion, un mot récemment rentré dans le vocabulaire pour désigner le fait de se réjouir du bonheur d’autrui
Ce qu’il y a d’intéressant avec ce deuxième terme c’est qu’il serait construit en opposition au mot « dispersion ». Là où celui-ci désigne le fait de se diviser, de s’éloigner, la compersion aurait l’ambition de nous rapprocher. Je ne sais pas vous mais en ces temps troublés je trouve ça quand même plus optimiste…
Fait également intéressant, le mot « compersion » est beaucoup utilisé dans les relations polyamoureuses pour désigner la sensation de joie qu’on peut ressentir à l’égard d’un.e amant.e qui entretiendrait une relation avec une autre personne. Je n’ai pas été spécialement étonnée que ce terme fasse partie du lexique des relations consenties non-monogames. Lorsque j’ai commencé à creuser le sujet de la jalousie j’ai réalisé à quel point on le liait quasi-systématiquement à l’amour.
La jalousie est souvent un enjeu au sein du couple. Un sujet sensible, parfois très épineux, parfois partagé par les différentes parties ou alors qui n’est qu’à la charge d’un.e seul.e personne.
Et alors qu’on en fait un sujet de conversation à part entière, j’ai pourtant l’impression que ce sont encore et toujours les mêmes mécanismes qui sont au rendez-vous quand il s’agit de jalousie, que l’amour soit au coeur ou non !
Car peu importe qu’on parle d’une réussite professionnelle, d’un heureux hasard, d’une chouette acquisition, de planètes qui s’alignent, d’un super événement et j’en passe, le résultat reste le même = il y a d’un côté celui qui a, et de l’autre celui qui n’a pas ou alors qui a peur de manquer.
Dans la jalousie, il y a la crainte de l’absence, du vide, du silence.
J’ai toujours mis un point d’honneur à ne pas être jalouse au sein de mes relations amoureuses et à me tenir très loin des hommes jaloux. À mes yeux, c’est un red flag. Pourquoi être en couple avec quelqu’un en qui on n’a pas confiance ? J’ai déjà assisté à des disputes où la jalousie était au cœur du problème et j’étais sidérée par ce qu’elle peut générer comme paroles voire comme actions irrationnelles. La jalousie peut devenir un miroir déformant, altérer notre réalité, pousser à la malveillance, la paranoïa, la malhonnêteté intellectuelle. Elle peut nous brider dans nos libertés, blesser notre entourage, tout faire éclater en mille morceaux sans qu’on puisse réparer les dégâts par la suite.
Je n’ai jamais su ce qu’il était plus sain de faire :
exprimer frontalement sa jalousie à l’autre afin de l’évacuer (ce qui signifie, par extension, assumer de l’être ?)
ou alors la taire, l’étouffer le plus possible parce que ce problème ne concerne que nous ?
J’ai eu besoin de temps pour entendre ce que les personnes jalouses avaient à me dire sur le sujet : on ne naît pas jaloux, on le devient… malgré soi. Peu importe la cause de notre jalousie, elle trouve ses racines dans le regard qu’on porte à son propre égard.
La jalousie ne se nourrit pas seulement de conditions matérielles injustes (après tout, il y a des gens qui n’ont jamais eu beaucoup de chance et qui ne sont que très peu jaloux).
Elle se nourrit avant tout de notre manque de confiance en soi, d’une piètre opinion envers soi-même, d’une comparaison inlassable envers celles et ceux qui nous entourent, de l’auto-persuasion qu’on ne pourra jamais obtenir ce qu’on souhaite.
Et toutes ces émotions, ces pensées, sont influencées par les expériences qu’on vit, comment on les reçoit, comment on les surmonte. Mais nous ne sommes jamais vraiment seuls face à ces épreuves. Nous avons toutes et tous un rôle à jouer dans l’expérience d’autrui :
Comment nos parents nous apprennent à traverser les épreuves et les échecs
Comment une ancienne relation amoureuse a pu nous faire douter (ou non)
Comment un prof a pu nous faire prendre conscience de nos forces (ou l’inverse)
Nous avons la capacité d’éviter que la jalousie se répande comme un venin.
Voilà ce que j’ai mis encore plus de temps à comprendre : je n’étais pas jalouse parce qu’il y avait aussi une question d’ego là-dedans.
Admettre qu’on envie quelqu’un, c’est admettre que cette personne a pu nous dépasser, faire mieux que nous, réussir là où on a l’impression de ne pas y parvenir. Admettre qu’on jalouse une personne, c’est faire le deuil de son orgueil, de son amour propre. C’est avoir l’impression qu’on piétine ou plutôt qu’on nous piétine.
Alors désormais il faut que je vous avoue quelque chose…
Ces dernières années, il m’est arrivé de ressentir de la jalousie.
Pour de vrai.
C’était tellement nouveau que je ne l’ai pas vu venir.
Je pensais que ce serait un sentiment particulièrement violent, un uppercut qui me frapperait en pleine figure, dont on verrait l’hématome à des kilomètres.
Je m’étais trompée.
La jalousie peut être insidieuse.
Un lierre qui grimpe tout doucement et qui vient étouffer toutes les petites certitudes positives qu’on a à son propre sujet.
La jalousie est fourbe.
On ne réalise pas tout de suite qu’elle est là, bien installée. On pense qu’on est inquiète, triste, démoralisée... Et puis on réalise qu’on est surtout amère, frustrée, perdue.
En colère.
Mais contre qui ? Et pour quelle raison ?
Ce n’est pas se sentir nulle ou moins bien. C’est plus que ça. C’est se demander pourquoi est-ce on est aussi nulle et pourquoi est-ce qu’on est tellement moins bien que Bidule et Machine alors qu’on essaie encore et encore ?
POURQUOI ?
POUR
QUOI ?
La jalousie que j’ai ressentie m’est tombée dessus par deux fois alors que j’étais en dépression. J’étais incapable d’être heureuse et de féliciter des personnes que j’estime et que je respecte profondément.
Mais je ne réalisais pas à ce moment-là que j’étais malade si bien que j’étais incapable de faire le lien entre mon état mental et ce sentiment dont j’avais honte. Mon cerveau était comme bloqué, il n’y avait qu’une seule case qui fonctionnait : me comparer aux autres pour, sans surprise, me dévaloriser.
Ce sentiment a toujours fini par disparaître une fois que je reprenais mon traitement et ma thérapie. Si je suis jalouse lorsque je suis au plus haut de ma dépression c’est parce que mon estime de moi est au plus bas. Je ne supporte quasiment plus mon reflet dans le miroir ni de m’entendre penser, alors comment pourrais-je avoir une quelconque sympathie à mon sujet ?
Vous réalisez les effets pervers d’un tel état ?
Lorsqu’il s’agit de jalousie, notre propre rival c’est… nous-mêmes.
Depuis, mon regard s’est adouci envers les personnes jalouses. Ou du moins, celles qui essaient de corriger ce vilain défaut, de ne pas le faire subir aux autres.
Je sais à quel point elles essaient de travailler sur elles-mêmes malgré cette horrible petite voix qui leur fait croire qu’elles sont insuffisantes.
Et puis lorsque c’est trop compliqué, je me raccroche aux mots d’une de mes it-girls préférées, the one and only ✨Alexa Chung ✨: « Transformez votre jalousie, le sentiment le plus vil, en motivation. »
Je ne sais pas vous mais je ne compte plus le nombre de célébrités et d’artistes qui ont pu parler de jalousie en interviews voire dans leurs propres œuvres. Ce qui prouve bien quelque chose : peu importe le niveau de réussite qu’on atteint, le petit monstre aux yeux verts n’est jamais loin.
Merci pour ce texte, d'avoir si bien décortiqué ce sentiment très insidieux. Je n'avais pas fait le lien avec la question de l'estime de soi. Et je me rends bien compte que mon rapport avec la jalousie est bien plus compliqué que je ne le pense. Quand j'ai commencé le parcours de PMA, je me suis dit que je me connaissais, que je ne deviendrais jamais aigrie et incapable de me réjouir pour les autres femmes. Aujourd'hui, et même si je ne le fais jamais sentir à personne évidemment, je ne supporte plus de voir des femmes enceintes, des couples avec des nourrissons ou encore pire des jumeaux. Mon chagrin et ma frustration à ne pas réussir à être mère ont créé un monstre de jalousie en moi qui me fait honte autant qu'il m'agace. Je m'étais promis de ne pas devenir cette personne. Et je le suis, et je ne sais pas comment revenir à celle que j'étais avant. Alors merci pour ça, c'est de l'eau à mon moulin. :)
J’ai beaucoup aimé ce texte ! C’est seulement adulte que je me suis rendue compte que le harcèlement que j’avais connu au collège s’expliquait par de la jalousie et une différence de classe sociale car quand tu es privilégiée et enfant, et même si tes parents te le disent, ça te paraît la normalité. Or quand tu ne l’es pas, je crois que tu le comprends très vite.
Par contre je n’ai jamais supporté la jalousie dans le couple, je ne pourrais pas ne pas avoir 100% confiance. Parfois je me dis que je suis peut-être naïve et qu’un jour je tomberai de haut mais je crois que je préfère quand même vivre mes relations comme ça.
Et comme toi il m’est arrivé de la ressentir en devenant adulte, en voyant des personnes accomplir ce dont je me sentais incapable et c’est en effet un sentiment qui va et qui vient selon mon estime de moi, du coup maintenant quand je la ressens, aussi désagréable et honteux que ce soit, j’essaie de me montrer un peu de compassion.