Non, ta carrière d'écrivain.e ne dépend pas des réseaux sociaux
Faut-il impérativement être présent.e sur les réseaux sociaux pour réussir à publier son roman ? Doit-on avoir une communauté pour être repéré.e par une maison d’édition ? Non.
2023 est doucement en train de se terminer : c’est l’heure des bilans annuels et des bonnes résolutions pour l’année à venir. Dans ce joyeux brouhaha, je vois souvent passer le même vœu : « en 2024, je souhaite être publiée ». Quel beau projet ! Je vous souhaite que ce rêve se réalise.
Pourtant, certains messages me chiffonnent…
« En 2024, je vais essayer d’être plus présente sur les réseaux sociaux. Je vais créer plus de contenus liés à l’écriture, à mes romans. »
… sont souvent suivis de :
« Je n’ai pas le temps d’écrire, je n’ai toujours pas fini le roman sur lequel je planche depuis 3 ans, mais je sais que c’est important d’être sur les réseaux sociaux, donc je vais me lancer ! »
Bien sûr, ces deux exemples sont des résumés très généralistes de ce que je lis en ligne. Cela fait des années que je vois ces messages et, pendant longtemps, je n’y ai pas prêté attention. Qui suis-je pour dire aux gens comment ils doivent gérer leur temps, leur présence en ligne ainsi que leur stratégie de visibilité ?
Personne.
Enfin, presque personne.
Je suis une autrice publiée avec un compte Instagram de +17k d’abonnés, un compte Tiktok (à l’abandon – oups -) de +20k d’abonnés… et surtout, je suis dans ma vie « de tous les jours » (comprenez, celle où je travaille derrière un bureau) Responsable des médias sociaux d’une entreprise. Community Manager, Social Media Manager, Social Media Expert… en agence, chez l’annonceur, en start-up, pour des multinationales et pour des tas de secteurs différents : cela fait des années que je travaille dans la communication liée aux réseaux sociaux. C’est même mon expertise.
J’ai donc un avis bien développé sur la question.
Mais pour comprendre comment j’en suis en arrivée là, un retour en arrière s’impose :
Dans le tout premier numéro de Gang de Plumes, je vous parlais de mon rapport aux réseaux sociaux et à l’écriture : j’entretiens une relation avec les deux depuis (très) longtemps et les deux sont (dans ma vie) étroitement liés l’un à l’autre. J’ai très vite aimé le fait de pouvoir échanger et partager en ligne, de pouvoir se construire un espace où on rencontre des gens qui nous ressemblent avec qui on grandit et évolue. Il y a sur ces plateformes quelque chose de grisant et qui dépasse la course aux likes et à la popularité : on créé, on s’amuse, on réfléchit, on se divertit, on bouge les lignes. Et puis aussi, on peut avoir une voix qui porte. C’est même la promesse des réseaux sociaux : tout le monde peut gagner en visibilité, pas besoin d’être un « fils de » ou une « fille de ». Cette horizontalité ne serait-elle pas l’incarnation même de l’idéal démocratique ?
La réalité est plus nuancée et moins utopiste. Je ne mets donc pas les réseaux sociaux sur un piédestal : il m’arrive de les détester, de me demander où est-ce qu’on a merdé en tant qu’êtres humains et en tant que société tellement ils sont le reflet de notre bêtise crasse. Cependant, force est de constater qu’une fois arrivée à l’âge adulte… j’ai décidé d’en faire mon métier !
Depuis quasiment 10 ans, c’est même mon quotidien. Si ma présence fut d’abord personnelle (comme tout le monde), elle fut ensuite « hybride ». Créer du contenu a été un moyen pour moi de parler de mes centres d’intérêt et d’utiliser ce que je produisais comme d’une vitrine (je les ajoutais à mes CV, portfolios etc). Ce que je réalisais en ligne n’avait donc rien de professionnel (ce n’était pas mon métier), cependant cela m’aidait à évoluer dans ma carrière. Je ne scindais rien : j’étais sur Internet autant pour discuter avec mes potes que pour échanger avec ma modeste communauté de l’époque.
De (très) mauvaises expériences (dont je n’aime pas parler, ceux qui étaient là à l’époque s’en souviennent et c’est amplement suffisant) m’ont contrainte à changer cette posture. Moi qui étais sans-filtre, spontanée et authentique j’ai dû apprendre à me protéger, à faire face à beaucoup de malveillance et de malhonnêteté. Pendant quelques années, j’ai traversé une période un peu étrange où ce que je produisais était beaucoup plus « froid ». J’avais besoin de distance et je ne voulais plus qu’on essaie de m’atteindre sur ce qui touchait à « l’intime ». Internet a souvent du mal à comprendre que même lorsqu’on partage sa vie privée, ce ne sont que des morceaux. On ne saisit jamais vraiment les gens dans leur entièreté et cette incompréhension m’était insupportable. Pire, elle me rendait vulnérable. J’ai donc eu besoin de tout scinder : d’un côté ce qui relevait de la « vitrine » et qui pouvait intéresser les professionnels et puis, l’autre facette, plus personnelle, plus sincère… que j’ai rendue moins visible.
Cette période fut très dure car cela ne me correspondait pas, mais je savais qu’elle était nécessaire. Pour ma santé mentale, d’abord. Et puis aussi parce que cela m’a permis de prendre du recul sur comment j’appréhendais les réseaux sociaux et sur leur évolution. L’utilisation presque insouciante que j’en avais eu n’était plus pour moi. Je parvenais mieux à fixer mes propres limites. Le déclic s’est fait en 2020, en plein confinement.
Cette année-là d’ailleurs, j’étais en pleine écriture de mon premier manuscrit, le tome 1 des Enchanteresses. Je partageais quelques extraits en stories sur Instagram (pour me motiver à terminer car je venais de créer le hashtag #GangDePlumes afin de parler écriture avec d’autres autrices débutantes) et Charlotte qui est lectrice d’Hachette Romans et qui me suivait en ligne (on n’avait jamais interagi auparavant, je tiens à le préciser) a apprécié le peu qu’elle venait de lire et la suite, vous la connaissez. Elle a lu mon manuscrit et ensuite, j’ai signé chez Hachette Romans, une superbe opportunité (surtout qu’il est très rare de débuter dans le métier par la publication d’une saga !).
Là, comme ça, vous vous dites « Ah ! ça prouve bien qu’il faut se lancer sur les réseaux sociaux pour être publié.e ! »
Eh bien la réponse est non.
Mon histoire est atypique. C’est une affaire de belles coïncidences, d’heureux hasards. De beaucoup de chance. D’ailleurs, je ne connais pas grand-monde qui ait eu le même parcours que moi : des auteurices qui ont remporté des concours pour être publié.es… oui ! des auteurices qui publiaient sur Wattpad et qui ont été repéré.es… aussi ! des auteurices qui ont envoyé leur manuscrit de façon traditionnelle et qui ont été retenu.es… encore plus ! Je suis très heureuse et reconnaissante de mon parcours hors-norme et quand j’y pense, je peine à croire que ce soit arrivé à moi… mais j’ai aussi conscience que c’est un parcours atypique qui ne représente pas la réalité.
Ce qui a intéressé Charlotte, c’était bel et bien mon écriture. Pas mes réseaux sociaux. Pas ma communauté.
À l’époque, lorsque j’avais annoncé sur les réseaux sociaux la parution de ma saga de young-adult, tout le monde n’avait pas compris ce choix. J’ai été félicitée, oui, mais un certain nombre d’abonnés avait du mal à faire le lien avec ce que je produisais en ligne. Pourtant, tout faisait sens : je n’ai jamais caché ma passion pour la pop-culture, encore plus pour les teen movies et j’aime analyser toutes ces œuvres avec un angle féministe. Mais tout le monde n’avait pas cette « big picture » en tête. Je n’ai pas été spécialement étonnée (et je n’ai pas pris ça pour du mépris de leur part), voire je m’y attendais. Pour autant, cela ne m’a jamais freiné dans mon idée d’écrire cette saga. Cette histoire m’obsédait, il fallait que je pose les mots afin qu’elle prenne vie : n’est-ce pas la meilleure raison pour écrire ?
Sur les réseaux sociaux, je ne parlais jamais de urban-fantasy, encore moins de littérature young-adult. Quand Charlotte a transmis mon manuscrit à mon éditrice, la question de ma communauté n’a jamais été prise en compte. Tout simplement parce que je n’avais pas construit ma visibilité en ligne sur la « cible » de mon roman (je considère que Les Enchanteresses peuvent se lire à partir de 13 ans puis à n’importe quel âge, mais j’ai aussi conscience que je m’adresse en priorité à une certaines catégorie, à savoir les ados de 13-18 ans).
En réalité, la seule question qui intéressait mon éditrice était de savoir en combien de temps j’avais écrit le tome 1 et à quel rythme je pouvais écrire la suite.
Ce point-là est le seul que vous devriez retenir et que je n’ai de cesse de répéter : vous voulez être publié.e ? Alors écrivez. Terminez ce roman qui dort dans vos tiroirs depuis des mois.
C’est tout ce qu’on attend de vous : proposer une histoire qualitative avec un début, un milieu et une fin. Vous en êtes capable ? Félicitations, c’est déjà plus que la moyenne (on a malheureusement plus tendance à abandonner un manuscrit qu’à le terminer ;)) !
Une fois que j’ai été publiée, il m’a fallu faire des choix sur la manière dont j’occupais mon temps (c’est d’ailleurs le sujet de mes deux précédentes newsletters, pour rappel). Après plusieurs essais pour tout mener de front, j’ai décidé de laisser de côté mon ancienne présence en ligne et je me suis concentrée sur la “nouvelle”, qui était moins chronophage et plus pertinente.
En réalité, j’ai fait un mix bête et méchant : j’ai utilisé mes comptes sociaux plus personnels pour parler aussi de mon nouveau métier d’autrice. L’écriture a toujours eu une place importante dans ma vie et j’allais passer au statut de professionnelle, mon quotidien allait s’en voir bouleversé donc cela faisait sens pour moi d’en parler dans ma sphère perso. Et je n’avais plus le temps de m’occuper de plusieurs comptes en même temps.
Cependant, je n’ai pas décidé de parler de mon expérience de l’édition pour faire connaître les Enchanteresses. J’avais à peine le temps de parler de la sortie du tome 1, j’étais déjà focalisée sur la rédaction du tome 2. Et puis, j’angoissais beaucoup (comment ce premier tome serait reçu ? étais-je encore capable d’écrire ?). En réalité, je voulais surtout documenter cette période de ma vie un peu étrange (qui s’est soldée par une belle dépression sévère, ahem).
J’ai aussi une déformation professionnelle, que certain.es du métier auront reconnu en lisant ces lignes : mon métier d’autrice n’est pas ma seule passion, mon métier de responsable médias sociaux l’est également. Donc je passe mon temps à consommer / tester / développer des contenus, à découvrir des plateformes (*tousse* du genre, au hasard, Threads *tousse*), à décortiquer/analyser ce qui se passe dessus car c’est une composante de mon métier. Tout va très vite sur les réseaux sociaux et j’adore ça, mais plus que d’aimer ça, c’est aussi mon taf. Savoir ce qui se passe en ligne, ce qui marche, ce qui flop, ce qui est à surveiller : c’est mon boulot. J’utilise mes propres réseaux sociaux comme un espace constant de test & learn.
Depuis la parution du tome 1 des Enchanteresses, j’ai gagné à peu près 16 000 abonnés (oui, j’avais vraiment un petit compte perso huhu). En réalité, j’ai assez peu parlé de mes romans publiés. Cela rejoint un trait de personnalité qu’il n’est pas difficile d’identifier quand on me suit en ligne : je n’aime pas qu’on me range dans une case. C’est pour ça que j’ai 2 métiers, que je jongle entre plusieurs projets et que j’ai besoin de nouveautés. J’ai très vite senti que je ne pouvais pas parler d’écriture qu’à travers ma saga de young-adult. J’étais partie pour l’écrire durant plusieurs années, j’avais besoin d’un espace où cette histoire ne prendrait pas toute la place. Je ne voulais pas me définir que par ça. C’est pour cette raison que j’ai commencé à partager des conseils d’écriture, que j’ai développé un podcast sur la pop-culture et que je tiens maintenant cette newsletter. Mes romans étaient un sujet parmi d'autres.
Mais comme vous le savez, j’ai changé de posture vis-à-vis des réseaux sociaux depuis septembre. Ma démarche a changé. Je suis moins présente, je fais du « moins mais mieux », je mets plus de distance, aussi. Ma présence en ligne ne concerne à présent presque que l’écriture, elle s’est plus professionnalisée qu’avant. Cela ne gomme en rien ma spontanéité et mon authenticité, c'est juste différent. Cependant, cette posture n’est pas autant à contre-courant qu’on pourrait le penser. Très pragmatiquement, je considère que c’est la meilleure stratégie (du moins, la plus préférable) à adopter par rapport à l’évolution que prennent les réseaux sociaux. :)
On me demande souvent si avoir une communauté plus importante qu’à mes débuts a favorisé les ventes des Enchanteresses.
Vous voulez la réponse honnête ? C’est impossible de quantifier.
Vous voulez ma réponse en tante qu’experte ? C’est peu probable.
Et cela n’a rien à voir avec le fait que je devrais en parler plus ou différemment. C’est juste que je sais que ce n’est pas moi et moi seule qui peux faire le succès de mon roman, même avec la magie des réseaux sociaux.
Un livre qui « perce » sur les réseaux sociaux connait rarement du succès grâce au contenu que l’auteur aura produit de lui-même. C’est plutôt le contenu des lecteurs qui va changer la donne. Le bouche à oreille est puissant, peu importe la forme qu’il prend. Or, ce bouche à oreille n’est pas entre vos mains. C’est le lectorat qui le fera, en ligne comme hors ligne.
On adore parler des success stories grâce à Internet, cependant on oublie qu’elles sont trop rares pour que vous basiez votre stratégie uniquement sur elles. Vous avez le droit d’en rêver, d’espérer, mais vous ne devriez pas parier uniquement sur ça. Sans compter qu’une success story alléchante, c’est une avant tout une histoire bien racontée ;).
Prenons l’exemple d’Alex Aster, autrice de Light Lark et qui a explosé sur Tiktok en créant une stratégie agressive pour mettre en avant son roman. Oui, elle a buzzé, mais c’est oublier que son roman avait déjà été acheté par une grosse maison d’édition et que les droits de traduction et d’adaptation avaient déjà été vendus ! Par ailleurs, sa saga n’a pas rencontré le succès que tout le monde attendait. Ce n’est pas un échec, mais ce n’est pas non plus le prochain Hunger Games.
On me cite souvent des comptes d’autrices avec des centaines de milliers d’abonnés… Or, ils ont un tel succès non pas parce qu’elles parlent d’écriture et/ou de leurs romans… mais parce qu’elles ont déjà vendu des best-sellers et qu’elles ont d’importantes communautés de fans ! Ici, un cercle vertueux s’est créé. Leurs réseaux sociaux leur permettent d’informer des nouveautés, de garder un lien avec leur lectorat : c’est du bonus, oui. Mais ce n’est pas le nerf de guerre de leur visibilité ! Le travail de leur maison d’édition sur ce sujet et, la prescription par les lectrices et lecteurs eux-mêmes (le fameux bouche à oreille, on y revient encore et toujours) sont bien plus garants d’un succès que les réseaux sociaux.
Concernant les conseils d'écriture (que j'ai moi-même pu faire avant d'avoir l'impression d'avoir fait le tour), ils ne sont pas l'assurance d’attirer un nouveau lectorat. Oui, vous partagez une expertise utile qui permet d'attirer des personnes de la même niche que vous (et sur les réseaux sociaux on adoooore les posts conseils et astuces). Mais ici on parle de littérature, d'art. Pour qu'un lecteur passe à l'achat, il faut plus que l'assurance que vous écriviez bien (malheureusement). Il faut que votre intrigue lui parle, que ça résonne en lui. Vous comprenez la nuance ?
Des tas d’auteurs très connus ne sont pas sur les réseaux sociaux. Je pense à Sally Rooney, par exemple. D’autres décident de s’en distancer une fois qu’ils rencontrent du succès, justement. Cette absence en ligne n’a pas d’impact négatif sur leurs ventes. On peut même supposer que cela leur offre une tranquillité d’esprit qui booste leur créativité, qui sait ?
Mais alors, que faire ?
Vous souhaitez communiquer sur vos romans ? Les réseaux sociaux sont le meilleur moyen de le faire. Ou plutôt, le plus pratique et accessible.
Je ne vais pas vous en empêcher ni vous mentir : si j’évolue dans ce domaine, c’est pour une bonne raison. Je crois en leur efficacité.
Cependant, une communication réussie demande beaucoup de travail (et donc du temps). Ce n’est pas un sprint, mais plutôt un marathon. Il va falloir faire preuve de régularité, viser sur la durée. Gardez aussi en tête que ce n’est pas synonyme d’explosion de ventes et que vous n’avez pas la certitude d’être repéré.e par une maison d’édition. Si c’est ce que vous espérez, la déception risque d’être grande.
Vous n’avez pas le temps d’être sur les réseaux sociaux ?
Vous n’arrivez toujours pas à terminer votre manuscrit ?
Vous avez peur que cette présence en ligne vous pousse à la comparaison avec les autres auteurs ?
Alors ne vous lancez pas sur les réseaux sociaux.
Vous n’allez pas y gagner grand-chose.
Vous allez surtout perdre confiance en vous.
Je le répète encore et encore, mais votre seule priorité devrait résider dans votre écriture, dans ce roman que vous devez terminer depuis des mois et qui attend que vous vous mettiez au travail.
Si votre manuscrit est suffisamment abouti, vous finirez par trouver une maison d’édition. Il y a de la place pour tout le monde et aucun éditeur ne laissera de côté un bon texte pour une histoire de followers.
Promis, vous n’êtes pas en train de laisser passer la chance de votre vie parce que vous n’êtes pas en train de faire la dernière trend Tiktok à la con.
Concentrez-vous sur l’écriture.
Le reste peut attendre (dont cette formation réseaux sociaux hors de prix qui vous promet monts et merveilles).
La communication, c’est important, car ça attire la curiosité des lecteurs qui feront le bouche à oreille. Mais le vrai métier d’un auteurs c’est écrire et ça doit toujours être la priorité 😊
Merci Sophie pour cette super newsletter ❤️ Je te rejoins complètement, et sur toute la ligne !